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l’ombre s’efface

cents ! Aussi quel vertige quand la catastrophe est arrivée ! M. Jacques était fou et M. Hervé ne l’était pas moins. Dans chaque famille, on empêchait un malheur. Quand M. Jacques allait s’accuser et deman­der pardon à M. Hervé, c’étaient des scènes effroyables. M. Hervé, qui semblait avoir perdu son bon sens, traitait Monsieur de meurtrier, sans vouloir croire à son désespoir d’avoir tué sa sœur. Sans être entièrement coupable, il allait vite, c’est sûr, mais la direction a sauté, et il n’y pouvait rien.

Je voyais que Clarisse me racontait ces choses pour bien situer les causes de ce drame, car elle savait qu’Anselme m’en avait parlé. Elle prit à peine le temps de reprendre son souffle pour continuer :

— À son grand regret, M. Jacques a cessé d’aller voir M. Hervé. On ne pouvait continuer à supporter les reproches de ce jeune insensé qui n’était pas le plus à plaindre. Je trouvais que Monsieur l’était bien davantage. En plus du chagrin, il avait ses remords, tandis que l’autre avait un désespoir où il n’y avait que de la beauté. Il n’avait qu’à offrir son sacrifice. Je trouvais que Monsieur avait bien de la bonté d’aller lui demander pardon ! Entre nous, je dirai que ce garçon ne me plaît pas ! C’est un jaloux et un ran­cunier.

J’avoue que j’eus quelque peine à retenir un sourire quand Clarisse m’avoua sa façon de penser. Elle eut une moue si caractéristique qu’elle provoqua en moi une gaîté que le sujet ne comportait pas.

Je ripostai, en reprenant mon sérieux :

— Alors, selon vous, la chère petite Janine a échappé à un mari ombrageux et peu enviable ?

— C’est tout à fait ma pensée, riposta vivement et sans fard la bonne Clarisse.

Puis, sans transition, elle me posa la question qui l’avait amenée dans ma chambre et que son dévoue­ment à mon égard autorisait :

— Alors je me demande ce qu’Anselme est venu raconter à Madame. Madame peut croire que je suis curieuse, non, mais je me méfie…

— C’est simple, et je ne vous le cacherai pas : il m’a priée de bien vouloir exprimer à mon mari le désir de son maître de le revoir. Ce dernier a une attaque de goutte et ne peut sortir. Or, il a besoin