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l’ombre s’efface

devenait secondaire pour moi, hors cette question primordiale d’éclaircir le mystère de ma naissance. Ce fut bien excitée que je franchis le seuil de la maison où je courus tout de suite vers le cabinet de travail de mon mari.

Sans frapper, sans m’excuser, sans le saluer, je m’écriai :

— Je vous demande pardon, Jacques ! Je ne serai plus ni boudeuse, ni méchante.

En quelques secondes, ma pensée s’était ravisée. J’étais décidée, avant de voir mon mari, de lui parler des Sesse et de lui insuffler mon pressentiment, et soudain une brusque volte-face m’avait fait reculer. Je me disais que ce serait hasardeux. J’allais vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué, et ce serait idiot.

Si mon souhait ne se réalisait pas, mon attitude serait celle d’une sotte présomptueuse et je regretterais ma précipitation. Malgré mon désir de raconter « mon histoire », il fallait temporiser en raisonnant un peu et en arrachant quelques détails sur cette disparition. Il valait donc mieux réserver ma surprise.

C’est alors que je changeai soudain de tactique et que je me jetai dans les bras de Jacques pour expliquer mon entrée imprévue et mon visage plein de lumière.

D’abord surpris, puis radieux, Jacques m’embrassa d’abord avec excès, puis il me dit :

— Je ne m’attendais pas à une contrition aussi joyeuse, mais chacun a sa manière propre de solliciter l’absolution. Je vais vous paraître bien morne en vous demandant à mon tour de ne pas m’en vouloir. J’ai bon espoir d’être absous, parce que tout a l’air de rire en vous : votre voix, vos yeux, vos lèvres. C’est un rayonnement prestigieux.

Je ris alors bien franchement, et ce fut une détente heureuse dans laquelle se fondit toute la rancune que j’avais accumulée.

Après nous être accusés réciproquement, je dis :

— Je vous ai dérangé et je m’en excuse.

— Votre irruption inattendue m’a un peu effrayé. J’ai cru d’abord à un malheur, mais votre rapidité enjouée et votre visage m’ont promptement rassuré. Je suis de nouveau bien heureux.