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l’ombre s’efface

parole à Hervé. Mme Saint-Bart a été horrifiée de l’attitude d’Hervé envers vous. Elle savait que les jeunes fiancés avaient loué ce petit hôtel qu’ils meublaient à mon insu et elle les y accompagnait. Ces deux enfants voulaient m’en faire la surprise.

Jacques s’arrêta un moment puis reprit :

— Je vous demande pardon d’avoir douté de vos paroles, mais la surprise m’a fait perdre la tête. Me pardonnerez-vous ce manque de sang-froid ?

Je répondis d’un ton glacé :

M. de Gritte et sa sœur vous ont-ils appris qu’Hervé voulait se venger de vous parce que sa fiancée était morte par votre faute ? Je tiens à ce que vous le sachiez par eux. Il m’avait fait entendre que je serais sa victime et qu’il vous frapperait à travers moi. Si j’ai usé de souplesse et de sourires vis-à-vis de lui, c’était uniquement à cause de vous. Ses menaces m’effrayaient et je ne voulais pas que vous souffriez. J’ai été imprudente, je vous l’accorde, parce qu’encore une fois, trop crédule, mais je ne pouvais pas savoir que j’avais affaire à un déséquilibré doublé d’un démon. Je me suis vu reprocher par lui mon passé où il n’y a que de l’honneur et du travail. Vous avez agi de même, et, malgré tout ce que je vous dois, vous ne me jugerez pas ingrate si je quitte votre foyer.

— Christine !

Ce fut d’un visage ravagé par la souffrance que ce cri jaillit. Alors que j’avais exprimé ma pensée, en ne montrant que froideur et orgueil, l’émotion me vint tout à coup en voyant Jacques en proie à une douleur folle.

Il bégayait des mots sans suite, me demandant pardon en s’agenouillant devant moi, en me suppliant de ne pas poursuivre mon idée. Je ne pus répondre immédiatement. Je déplorais cette scène et je m’accusais. J’aurais dû éventer le piège d’Hervé, mais pouvais-je en prévoir l’issue ? Je ne connaissais pas encore le machiavélisme de certains hommes. Les Labatte ne m’avaient donné que de bons exemples, et je croyais que tout le monde leur ressemblait.

Bien que Jacques escomptât ma réponse, je repris :

— Je suis assez peinée de ne pas savoir de qui je suis née, sans qu’on me le reproche. Je vous ai loyalement avoué ma vie, et je ne saurais dire si je suis fille