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— Ma mère serait plus âgée de quelques années, mon père avait douze ans de plus qu’elle.

Gustave Chaplène ouvrit la bouche pour parler :

— Que faisait monsieur votre père ?

— Il était colonel. Étant jeune capitaine, il avait épousé la fille de son général.

Mon compagnon eut un geste surpris qu’il réprima. Il jeta sur moi un coup d’œil rapide et je notai une transformation dans son attitude. Quand de nouveau il me parla, sa voix avait perdu cette nuance de protection un peu familière que ma situation de travailleuse orpheline lui faisait adopter.

— Et vous en êtes réduite à travailler pour vivre ?

— Je ne me plains nullement de mon sort. Mon père ne possédait pas de fortune, ou peu, et ma mère n’a eu qu’une faible dot qui s’est effritée au cours des changements de garnison. Les uniformes coûtent cher, les appartements sont souvent onéreux, les charges lourdes pour des officiers. Et vous n’ignorez pas que les enfants n’ont aucune pension après la mort des parents ? Nous tombons de l’aisance dans la gêne. Comme il ne me restait qu’un petit capital aux rentes minimes, il a bien fallu que j’avise.

— Pauvre enfant !

Un attendrissement sonnait dans son accent, et, Dieu me pardonne ! j’étais plus émue que lui. Je pensais à des milliers de jeunes filles dans mon cas, filles d’officiers ou de fonctionnaires qui jouissaient du bien-être acquis par leur père et qui ne se mariaient pas, faute de dot. Souvent aussi, elles soignaient leurs parents infirmes, ne voulaient pas les abandonner, les priver de leur dé-

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