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Les jeunes filles n’ont cure de se plaindre, elles passeraient pour des sottes et elles ont une telle peur que leur aventure ne nuise à leur réputation et à leur établissement qu’elles ne s’en vantent pas.

« Il faut tomber sur une oie blanche, d’accord, et j’ai eu de la chance d’en dénicher une, la seule qui reste encore, peut-être… Je savoure mon bonheur futur, tout en m’étonnant qu’une jeune fille de ces temps ultra-modernes puisse être encore si facile à berner. Dans l’ère de positivisme que nous traversons, il est rare de rencontrer un esprit aussi crédule. Elle a été prise à l’appeau comme un oisillon nouveau-né… Oui, cette Ila était créée pour moi. Dans tous les cas, mon vieux, restons éloignés l’un de l’autre. Nous nous retrouverons un peu plus tard pour croquer les joyeuses espèces de la demoiselle. Je te souhaite une bonne réussite dans l’affaire de la veuve… En attendant… »


Suivaient de vagues formules de politesse auxquelles je ne pris garde. J’étais bouleversée. Et dire que je me croyais intelligente, prudente, observatrice ! Si Dieu ne m’avait pas aidée, j’allais devenir la proie d’un aigrefin, d’un de ces chevaliers d’industrie toujours à l’affût d’une bonne affaire et d’un mauvais coup.

René Déflet avait raison : j’étais un pauvre oisillon naïf qui jugeait la sincérité de ses semblables d’après la sienne. L’impression de délivrance que je ressentais me faisait oublier l’humiliation d’être estimée aussi stupide. Je remerciai la Providence de m’avoir éclairée à temps. Je vivais là un beau miracle, un de ceux que l’on apprécie en secret.

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