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Un million ! Riche ! Était-ce possible !

Je pensai d’abord courir tout de suite chercher ma fortune, mais je me retins. Il fallait attendre que mon sang-froid fût revenu. Impossible de me présenter à un guichet avec cet aspect d’hallucinée. Il me fallait simuler l’indifférence, être belle joueuse, prendre un air impénétrable. J’en étais loin…

Mon mariage était fait ! Je me voyais descendant la grande allée de l’église Saint-Nizier, et je félicitais M. Gustave Chaplène d’avoir à son bras une femme riche et belle.

Quand je repris un peu contact avec la réalité, j’eus l’idée de demander conseil à mon notaire. Je n’avais jamais manié de million ; il était préférable de m’adresser à quelqu’un de plus exercé que moi.

Cette solution m’enchanta. J’y voyais toutes sortes d’avantages : je risquais moins de me faire voler, je gardais l’anonymat, mon notaire dirigeait mes placements et il pourrait, en outre, certifier ma richesse.

Je n’étais pas peu fière en pénétrant dans son cabinet. Mon notaire, vieil ami de mes parents, avait toujours été très bienveillant pour moi, mais dans cette bienveillance même, je devinais un peu d’indifférence, de cette indifférence professionnelle que l’on réserve aux clientes sans valeur (je ne fais pas un jeu de mots, sans quoi je mettrais valeur au pluriel).

J’avais résolu d’être digne. Vainement ! Lorsque je vis Me Praquet, je sautai à son cou et lui criai dans l’oreille :

— Je suis millionnaire ! je suis millionnaire !

Me Praquet se dégagea doucement de mon étreinte enthousiaste ; puis il me dévisagea longuement et me dit d’un ton onctueux :

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