Page:Fiel - Épreuves maternelles, 1930.djvu/96

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
94
ÉPREUVES MATERNELLES

tour d’hier soir ? À quoi pensez-vous ? que vous faut-il donc ? Vous êtes traitée poliment ici et vous avez la chance d’avoir pour compagne une femme d’âge, dévouée et bonne.

La pauvre Denise savait qu’elle ne pouvait guère s’expliquer. Il fallait qu’elle supportât tout ce flot de paroles sans justifier sa conduite.

Elle prononça doucement :

— J’apprécie tout ce que Madame me souligne, mais je dois partir. Je regrette de le dire à Madame, mais je ne puis agir autrement.

Vincente reprit la parole avec cette familiarité que s’octroient les vieux serviteurs :

— Pourtant, Madame, je lui ai raconté le tourment que nous avions avec notre pauvre monsieur… eh bien ! elle s’en va tout de même ! elle n’a pas de cœur, crai ! alors que Rose la disait si gentille.

Pas de cœur ! Denise ferma les yeux.

Elle souffrait horriblement par ce cœur que l’on méconnaissait.

Madame Dutoit la vit triste. Elle eut l’intuition qu’un drame inconnu pesait sur la destinée de la cuisinière et elle n’insista pas.

Elle dit simplement :

— Laissez-moi être surprise cependant de votre attitude d’hier… Le dîner était réussi, c’est vrai, mais cela m’a mise dans un embarras extrême.

Denise ne répondit rien.

— Vous ne pouvez même pas rester huit jours ?

— Non, Madame, je ne le puis, murmura la jeune femme qui défaillait presque de se savoir bientôt dans la rue à la recherche d’un gîte et d’un salaire.

Elle rangea ses affaires, suivie par Vincente qui voulait la faire parler. Mais Denise, plongée comme en un rêve, procédait à son départ avec des gestes d’automate.

— Je vous remercie, Vincente, pour votre excellente camaraderie. La paix était avec vous.

— Alors, restez ! clama la vieille domestique, bouleversée soudain par l’air tragique que lui semblait refléter le visage de Denise.

— Je ne le puis, bonne Vincente, sans quoi je ne songerais pas à m’en aller.

— Vous êtes donc sous la domination de quelqu’un… vous avez reçu un ordre auquel vous devez