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ÉPREUVES MATERNELLES

— Patience, petite sœur. Il ne faut pas trop demander. Crois-tu que mes sauvages là-bas, se rendent tout de suite à mes paroles ? Je suis obligé d’employer bien des phrases pour les amener à comprendre ce qu’ils perdent en ne m’écoutant pas. Constatons le mieux du caractère de ton mari et remercions-en déjà le ciel… qui sait si le bon grain ne germe déjà pas en lui.

En face de Paul Domanet, le missionnaire conserva sa nature modeste et prévenante. Il sut parler à Paul de ses affaires et il conta, non sans esprit, divers épisodes de ses voyages.

Bien qu’il ne se mît pas en avant, on dut se rendre compte de l’abnégation qu’il lui fallait, du dévouement et de l’héroïsme qu’il devait déployer à chacun des jours de sa vie d’apostolat.

Paul Domanet se trouvait forcé de l’admirer. Cependant son sens pratique lui fit s’écrier un soir :

— Quelle perte d’intelligence et de temps, que d’évangéliser des sauvages ! Vous auriez réussi admirablement dans les affaires. Si vous aviez été mon collaborateur, vous seriez comme moi, plusieurs fois millionnaire.

— Mon cher beau-frère, répliqua paisiblement le missionnaire, il y a deux genres d’affaires, celles de l’âme et celles du corps. À vous, Dieu a dévolu la science des dernières. Vous transformez en or tout ce qui est susceptible d’y être transformé. Par vous, les échanges se font, l’industrie prospère et le commerce prend de l’essor. Le confort s’accroît, la civilisation se raffine, le progrès bondit.

— Bien parlé… interrompit Paul.

— À moi, poursuivit le missionnaire, le Seigneur a donné la tâche de développer les sentiments chrétiens, de semer la parole de justice, de prêcher l’humilité et le dédain des richesses, afin que dans votre confort gagné de haute lutte, vous ne fussiez pas la proie des envieux. Nous essayons de tout notre pouvoir, de modérer les appétits, afin que les laborieux comme vous, puissent jouir en paix de ce qu’ils ont amassé. Nous tentons de réveiller les bons sentiments pour que les méchants deviennent humains.

— C’est une charge écrasante, murmura Domanet.

— Elle nous écrase souvent, en effet, et c’est no-