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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

mière fois que la pensée doit désormais diriger la réalité intellectuelle. C’était là assurément un magnifique lever du soleil ; une sublime tendresse s’est fait sentir, comme un frissonnement céleste, dans cette grande époque, et, en voyant l’enthousiasme de l’esprit qui alors parcourut le genre humain, on doit en conclure que la véritable conciliation n’avait pas eu lieu dans les siècles du passé ! » — « Les sophistes de l’ancienne Grèce (II, 24) avaient essayé de rendre chancelant tout ce qui était réputé solide. On peut inventer pour chaque objet des raisons et des contre-raisons. L’acte le plus abject peut encore être envisagé comme essentiel sous un certain rapport, et quand on le fait ressortir, on excuse par là l’acte. Certes, on n’a pas besoin d’une profonde et large instruction, pour savoir trouver de bonnes raisons pour une mauvaise chose. Les sophistes helléniques avaient étudié ce mouvement perpétuel de la réflexion, et compris que sur ce terrain il n’y a pas des choses fixes, puisque la pensée est trop puissante pour ne pas déraciner et entraîner tout objet par le courant dialectique. La philosophie française du xviiie siècle abolit l’ordre laïque, tant en matière de religion et de philosophie, que de politique. Elle est le spirituel dans sa forme spéciale ; elle est la notion absolue, l’idée, qui ose braver tout ce royaume terrestre des opinions constituées et des pensées fixes ; elle détruit radicalement tout ce qu’il y avait de solide ; elle se donne enfin la conscience de la liberté la plus pure.

Cette manière idéaliste de voir le monde se base sur la conviction, que tout ce qui a été institué en politique et en religion, n’existe que comme œuvre de la conscience de l’homme. Ainsi, les notions et les catégories qui régissent la conscience du moi, les notions du bien et du mal, de puissance, de richesse, de Dieu et de ses rapports à l’univers, de son gouvernement, des devoirs que la conscience humaine a envers lui, tout ceci n’est point de vérité absolue en et pour soi-même, n’est point en dehors de la conscience humaine. Toutes les formes du monde réel et du monde hyperphysique s’effacent donc et s’absorbent dans l’esprit qui a conscience de lui-même. Il ne se soucie pas à propos d’elles, il rit des idées telles qu’elles ont été héritées, des préjugés traditionnels, des pensées réputées vraies et indépendantes de la conscience ; l’esprit, quand il les respecte encore quelques instants, ne le fait que pour les frapper bientôt mortellement… (III, 506). » « Ce qu’il y a