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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

lui reproche de faire de la religion une affaire de sentiment ; moi je lut reproche de ne pas avoir tiré les conséquences qui nécessairement resultent de ses prémisses ; Schleiermacher n’avait pas le courage de voir que Dieu, considéré objectivement, doit être l’essence du sentiment aussitôt que le sentiment est proclamé subjectivement la forme, l’élément vital de la religion. Je suis même très content de cette faute théologique de notre Schleiermacher, puisqu’elle me sert de contre-épreuve de ma théorie ; Hegel, penseur éminemment abstrait, n’a jamais approfondi la nature essentielle du sentiment et de la religion. Hegel appelle image ce que j’appelle objet ; à ses yeux les personnes de la trinité ne sont que des représentations allégoriques tirées d’après la vie organique et naturelle. Dieu le Père, Dieu le Fils, dit-il, sont des allégories fort peu convenables : moi, au contraire, je vois l’essence de la trinité précisément en ce que Dieu tout seul y est une alliance inséparable de trois personnes aimantes.

Hegel identifie la philosophie et la religion, il contemple la religion dans la pensée : moi, je fais voir leur différence spécifique et je contemple la religion dans son essence réelle. Je n’ai pas besoin, comme Hegel, de disséquer toute la dogmatique pour y démontrer la religion qui en fait le noyau ; la prière, par exemple, me suffit déjà pour arriver à mon résultat. Je prouve que la religion est la conscience, la connaissance que l’homme a de l’essence humaine. Hegel veut absolument prouver que la religion est la conscience qu’on a d’un être différent de l’être humain, et il place dans la foi l’essence de la religion ; moi, je la place dans l’amour, car l’amour c’est la conscience religieuse que l’homme a de lui-même, le rapport religieux dans lequel il se met avec lui-même. Ma dialectique est nécessaire, la sienne est arbitraire ; j’établis qu’il y a identité entre la forme de la religion et son contenu, entre l’organe religieux et l’objet religieux, tandis que Hegel insiste sur leur séparation. Je commence par le fini, lui par l’infini, parce que l’ancienne école appâte le point de départ métaphysique et absolu, et c’est ainsi que ce dialecticien s’efforce de démontrer que l’infini éprouve le besoin de devenir fini et limité ; Hegel place le fini dans l’infini, il oppose l’un à l’autre, les choses spéculatives aux choses empiriques. Moi, au contraire, je commence par le fini, je trouve les choses spéculatives dans les choses empiriques, l’infini n’est à mes