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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

former en anthropologie, c’est-à-dire pour traduire la science divine en science humaine.

Cet ouvrage contient le principe d’une philosophie nouvelle, qui s’est déjà révélée sous une forme historiquement réelle et concrète sous celui de la religion. La philosophie nouvelle de ce livre n’aura pas besoin, comme l’ancienne scolastique du catholicisme et la moderne scolastique du protestantisme, de prouver sa coïncidence avec la religion, avec le système dogmatique du christianisme. Tirée du sein de cette religion, elle y a déjà pris tout ce qui est de la vraie substance religieuse, et en tant que philosophie, elle est religion elle-même. Il me semble, par conséquent, qu’un livre où se trouve exposée cette longue filiation, cette transformation continue, ne s’adresse pas au grand public.

Du reste, parmi toutes les pièces destinées à éclaircir et à compléter le livre, je dois renvoyer spécialement à celle qui est intitulée Philosophie et Christianisme, où j’ai esquissé, en quelques traits assez vifs, la décomposition historique du christianisme, et prouvé qu’il n’existe plus guère que comme une idée fixe, qui forme aujourd’hui le désaccord le plus frappant avec nos chemins de fer, nos machines à vapeur, nos assurances sur la vie et contre l’incendie, nos bibliothèques, nos gtyptothèques, nos théâtres, nos musées d’histoire naturelle, et avec nos écoles militaires et industrielles.

En terminant cette préface je viens d’apprendre par les journaux que le roi de Prusse a institué comme philosophie d’état (qu’on me passe cette expression ) la trop fameuse philosophie nouvelle de M. de Schelling. Ce nouveau système philosophique, en triste contradiction avec l’ancien du même auteur, mériterait, il me semble, d’être flétri du nom de philosophie de la mauvaise conscience. En effet, ne s’était-elle pas cachée à l’ombre pendant une longue, très longue série d’années ? Elle savait que le jour de sa publication deviendrait nécessairement le jour de sa honte. La préface de mon livre, je l’assure au lecteur, aurait été bien autrement écrite, si j’avais plus tôt eu connaissance de ce nouveau système schellingien, ignoble farce théosophique du Cagliostro de la philosophie du xixe siècle.

Que les lecteurs m’excusent, mais je ne saurais me défendre d’un profond sentiment d’animosité, en voyant ce Cagliostro allemand, qui a si souvent mystifié l’Allemagne sur le domaine de la