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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

de tout bien terrestre, mais riche, surabondamment riche des trésors mystiques de l’amour surnaturel. »

Oui, j’ai dit cela. J’ai tiré de la nuit du passé, pour le présenter à mes contemporains, le véritable christianisme antique, non pour l’imposer de nouveau au cœur et à l’esprit des hommes, comme un dernier mot, comme le nec plus ultra, mais avec l’intention vraiment folle et diabolique de le transformer en un principe supérieur et plus général. Alors, les théologiens m’ont donné leur malédiction.

En outre, j’ai blessé la philosophie spéculative à son endroit le plus sensible, car j’ai déchiré, sans pitié, le fameux traité d’alliance qui passait pour conclu entre elle et la religion ; j’ai prouvé que l’on ne pouvait faire cette prétendue conciliation qu’en ôtant à la religion précisément ce qui est la substance et l’essence même de cette religion. La philosophie dont je parle est la philosophie de la religion, telle qu’elle se trouve dans l’hégélianisme ancien, par exemple dans les écrits de MM. Gabier et Marheinecke.

De même j’ai joué un mauvais tour à cette philosophie positive dont on a tant parlé. J’ai démontré que l’idole de cette philosophie, telle qu’on la trouve chez MM. Fichte fils, Sengler, etc., n’est qu’une copie dont l’original est l’Homme ; on ne saurait concevoir la personnalité dépourvue de chair et d’os[1].

Voici ensuite les hommes d’état qui me détestent déjà presque autant que les philosophes et les théologiens, parce que j’ai donné de l’origine de la religion une explication on ne peut plus impolitique, mais fatalement amenée par les exigences de l’intelligence et de la morale. De ces hommes politiques, les uns ne voient dans la religion qu’un instrument politique pour soumettre et comprimer le peuple. Aux yeux des autres la religion est un hors-d’œuvre.

Tous les deux s’opposent à ce que la lumière et la liberté pénètrent jamais dans le domaine religieux.

Enfin, mon langage sans détour et précautions, où toute chose est appelée par son nom, m’a fait heurter de front, et sans espoir de pardon, l’étiquette moderne. Notre bonne société n’aime pas les émotions fortes ; elle se paie d’une monnaie conventionnelle d’il-

  1. Cette philosophie positive de l’Allemagne n’a donc rien de commun avec celle de la France, le positivisme. (Note du traducteur.)