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RÉPONSE À UN THÉOLOGIEN

théologien protestant : s’il est vrai que le chrétien doit se préparer ici-bas pour la vie angélique là-haut qui est sans sexe, il fera bien de supprimer le plus possible l’instinct sexuel déjà dans sa vie terrestre, lisez l’apôtre Paul. Et comme les mahométans espèrent de trouver un paradis où il n’y aura plus d’entraves aux jouissances matérielles, ils s’efforcent de s’y préparer dans cette vie, où l’instinct sexuel n’a rien de choquant pour eux. « Toute la vie d’un pieux chrétien est un saint désir, » dit Augustin. Les anciens mystiques étaient ravis de l’idée que leur âme serait après la mort toute seule avec Dieu ; mais ceci n’est point, ce me semble, du goût de notre théologie moderne, ni de M. Muller, ni de Doederlein (Instit. théol. christ.) qui avoue qu’il ne sera content que lorsqu’il aura retrouvé au ciel ses parents, ses enfants, ses amis, son épouse, et il ne voit aucune difficulté dans ce mot du Christ (Math. 22, 23 ) « Là-haut on ne se mariera plus, » car l’amitié des âmes, dit Doederlein, subsistera après la mort parfaitement bien sans l’instinct sexuel. Tout ceci est très populaire, très naïf, mais aussi très superficiel, très étroit et borné ; je passe donc outre.

Je ne me sers jamais d’un argument biblique qui n’existe pas ailleurs aussi, parce que les apôtres, selon moi, avaient bien autre chose à faire que d’élaborer soigneusement, et par voie méditative, l’essence de la religion ; ils avaient à lutter contre des absurdités juives et païennes sans nombre : même la circoncision était à leurs yeux une grave question, et ils sacrifiaient beaucoup de temps et de zèle à sa discussion.

M. Muller me reproche de trouver, à l’aide de ma dialectique, la contradiction entre amour et Dieu, déjà dans les trois mots Dieu c’est l’amour. J’ai développé, il est vrai, comment dans cette phrase Dieu signifie au fond encore quelque chose qui n’est point amour, mais Dieu en personne absolue, exclusive, jalouse, despotique, et qui venge avec une joie féroce tout crime de lèse-majesté divine. J’avais ajouté : « Les mots aimez vos ennemis signifient aimez vos ennemis personnels, mais jamais on n’aura voulu insinuer à un chrétien d’aimer les ennemis publics, communs à toute la chrétienté, les ennemis de son Dieu, les infidèles. » En tant que religion de la charité, le christianisme repousse les infamies et les cruautés que le fanatisme a exercées en l’honneur de la trinité chrétienne ; mais personne ne peut méconnaître que l’Évangile