Page:Feuerbach - Qu'est-ce que la religion ?,1850.pdf/71

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
59
RÉPONSE À UN THÉOLOGIEN

logique. J’avais expliqué, et constaté par beaucoup de citations, que le principe de la virginité et celui de la naissance surnaturelle étaient identiques et formaient la seule base du christianisme ; j’avais expliqué que le péché primitif n’était point autre chose que l’instinct sexuel[1]. Le mariage charnel est donc une œuvre du démon.

Saint Augustin dit, avec beaucoup de justesse, que si Ève n’eût pas mangé la pomme Infernale, tes hommes se seraient propagés sans éprouver le moindre instinct sexuel ; mais M. Muller croit être plus chrétien que saint Augustin et il m’oppose le mot de l’apôtre, que défendre le mariage serait une doctrine du démon. Certainement, ceux qui sont trop faibles de volonté morale pour pouvoir s’abstenir, doivent se marier, dit encore cet apôtre. Et Tertullien (Ad axor. 7, 3) dit très bien, en développant cet objet : « Il ne faut point désirer une chose seulement parce qu’elle n’a pas été défendue : elle est déjà défendue si une autre doit être préférée. » Est-ce que les paroles apostoliques que j’ai citées dans mon livre, expriment autre chose ? Tertullien est donc entièrement d’accord avec elles quand il dit : « Épouser vaut mieux, il est vrai, que d’être dévoré par le désir sexuel, mais encore mieux vaut ni épouser ni être dévoré par ce désir. » Est-ce clair ? L’idéal chrétien, c’est l’homme sans sexe.

Du reste, ce n’est point le christianisme qui a inventé la sainteté du mariage ; le judaïsme l’avait proclamée et le paganisme aussi ; en lisant certains livres on dirait vraiment qu’il n’y avait pas de mariage avant l’établissement du christianisme. Mais ce qu’il y a d’acquis désormais à la science, c’est que les chrétiens primitifs reconnurent le célibat volontaire comme le signe caractéristique, classique et sacro-saint du christianisme de là leur aversion contre l’idée d’une naissance naturelle, soit maritale soit bâtarde du Christ. Eo est dirigendus spiritus quo aliquando est iturus, dit même un

  1. Ceci résulte aussi de la tradition, soit chrétienne, soit juive. Dans le Talmud la séduction d'Ève par un serpent, possédé par Sammaël, le prince des démons, est décrite et interprétée tout au long, et non-seulement il s’en suit la perte du Paradis, mais aussi toute une génération de démons mâles et femelles, issue de l’amour d’Ève et du Sammaël, et un grand nombre des infirmités corporelles, intellectuelles et morales dont les deux sexes ont à souffrir ; ainsi, par exemple, dit le rabbin Akhiva, que les cataménies ne sont qu'un résultat de cet amour avec le roi des enfers. (Le traducteur.).