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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

mêmes le motif de leur sainteté ; c’est leur qualité même qui leur donne de la valeur. Une chose bonne et juste s’affaiblit à l’instant où elle va chercher son point d’appui dans un principe soi-disant supérieur ou suprême ; une chose qui se réclame d’une autre, abdique sa propre dignité. L’être humain a tout à fait abdiqué en faveur de l’être divin. Là où l’éthique est prise au sérieux, elle a une force innée, une énergie propre, et elle n’a pas besoin d’emprunter à un être transcendant. La morale ne mendie jamais la faveur de Dieu ; si elle le faisait, elle serait immédiatement abandonnée aux caprices sans bornes et sans frein de la religion ; la morale se suffit à elle-même, elle est son propre but et sa propre gloire.

Il s’agit par conséquent de faire disparaître une illusion ; mais une illusion qui est loin d’être innocente. Elle est comme un perfide poison qui s’attaque à la racine même de l’essence humaine. Elle dérobe à l’homme ses forces réelles, son courage vital : car il faut du courage physique et psychique pour vivre et pour mourir ; elle e même osé frapper insidieusement le plus sublime, le plus intime de tous les sentiments humains, l’amour ; il est devenu trompeur, factice, hypocrite, car elle l’a forcé à ne s’occuper de l’homme qu’à cause de Dieu, tout en se disant amour humain. Il est grandement temps de désillusionner l’Homme : il y va de santé corporelle et mentale, oui mentale… Mon livre démontre la méthode par laquelle l’illusion est à disperser : on n’a qu’à intervertir les rapports religieux, en comprenant comme but ce que la religion pose comme moyen, en élevant au premier rang ce qu’elle a repoussé jusqu’au dernier, en instituant chose principale, agent moteur, cause motrice ce qu’elle a refoulé dans la catégorie des choses accidentelles et conditionnelles. Prenons pour exemples les deux sacrements, le Baptême et l’Eucharistie. Ce sont là les deux grands symboles caractéristiques de la religion et du culte.

L’eau baptismale n’est pour la religion que le milieu par lequel le saint esprit se communique à l’homme, mais par là même la religieuse met en contradiction avec la nature des choses et avec la raison qui en est l’expression. D’un côté on nous assure que la qualité naturelle, objective de l’eau importe beaucoup, et d’un autre qu’elle n’y est pour rien du tout. L’eau n’est qu’un simple