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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

taires pour l’homme ; c’est à cause de leurs qualités bienfaisantes qu’elles reçoivent des honneurs divins. De même les chrétiens, là où ils respectaient le droit, le mariage, la propriété (des chrétiens orthodoxes, bien entendu), étaient instinctivement pénétrés de la vateur intrinsèque de ces institutions sociales. Que ce respect naturel leur apparût sous forme d’un respect religieux, il n’y a pas lieu de s’en étonner ! c’était là une jolie fleur de rhétorique, une couronne poétique, dont la pauvre et misérable chrétienté cherchait à embellir son lit d’épines.

Mais regardez plus loin la morale se base sur la théologie, le droit humain sur le droit divin ou par la grâce de Dieu, et aussitôt les choses les plus immorales peuvent être justifiées. Pour baser la morale sur la théologie, vous devez d’abord donner la morale pour base à l’Être divin même. Autrement le critérium du moral et de l’immoral vous fera défaut ; votre Dieu sera une base capricieuse, arbitraire, immorale, dont vous pourrez inférer tout ce qu’il vous plaira. Pour consolider par Dieu la morale, vous devez d’abord consolider Dieu par la morale : en d’autres termes, vous ne pouvez trouver le véritable centre de gravitation et d’équilibre pour le droit, pour l’amour, pour le moral que dans eux-mêmes ; vous devez les baser sur eux-mêmes. comme tout autre rapport substantiel et essentiel. Mettre une chose en Dieu, la faire dériver de lui, signifie la dérober à l’observation et à la critique ; c’est là une façon bien commode de penser et d’agir, et qui consiste précisément à ne rien faire du tout. Si en effet vous placez une chose en Dieu, elle y trouve un tel abri qu’elle passe désormais pour sacro-sainte, inviolable, indubitable. J’en conclus que toute méthode scientifique, qui base le droit (civil, criminel, politique) et la morale de la théologie, est le résultat d’une hypocrisie, soit avec intention, soit sans intention. En tout cas il y a là de l’hypocrisie. Quand on prend au sérieux le droit, on n’a pas besoin d’aller réclamer un appui de Dieu, on n’a pas besoin de réduire son origine à une manifestation directe de Dieu.

Nous n’avons plus besoin d’un droit politique et social chrétien, au nom duquel les plus grande impiétés ont été commises ; nous voulons un droit politique et social tout simplement humain, rationnel, naturel. Nous devons insister avec énergie sur cette vérité, que les choses vraies, bonnes, saines et justes ont toujours en elles