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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

il n’y a rien de sacré hors d’elle, elle bénit les objets et les rapports humains, comme si ceux-ci étaient maudits, si elle ne s’en mêlait pas.

Le mariage est un sacrement, mais il faut pour cela qu’il soit une alliance vraie et sincère, une alliance d’honneur et de dévouement, bref une alliance non forcée. S’il ne remplit pas ces conditions-là, il n’est point sacré, malgré toutes les assertions que l’Église donne du contraire. Une alliance non forcée est une alliance libre et morale, ou plutôt libre sans qu’on ait besoin d’y ajouter le mot morale, puisque la liberté telle que la philosophie l’entend, est toujours vertueuse ; être libre signifie sentir, penser, agir avec spontanéité. Or. la spontanéité exclut les mouvements de la peur et de l’espérance, soit pour le monde transcendant, soit pour le monde terrestre. Un mariage dont le lien n’est indissoluble que par une compression extérieure, un commandement (crainte ou espoir), est faux et n’a pas la moindre valeur morale. Le mariage est sacré en lui-même et pour lui-même, par la nature de l’alliance. Il est vrai, quand il répond à l’essence du mariage, à l’amour mais il est un mensonge, s’il est en contradiction avec l’amour. Il en est de même de toute autre relation morale ; elles ne valent que là où elles ont une énergie religieuse ou divine, intrinsèque. Ainsi, la vraie amitié n’existe qu’entre des individus qui gardent scrupuleusement les limites de l’amitié, aussi scrupuleusement et avec le même soin comme le fidèle garde la dignité de son Dieu. Que la vraie amitié vous soit sacrée, que le vrai mariage, la vraie propriété, vous soient sacrés que le salut de tout homme vous soit sacré ; mais, sachez-le bien, sacré en et pour lui-même, et sans regarder à côte vers le paradis ou vers l’enfer.

Le christianisme proclame les lois de la vertu comme des commandements divins, il ne les reconnaît que sous cette condition expresse. Il fait donc de la moralité un critérium de la religiosité, mais l’éthique n’en acquiert point une importance plus considérable. L’éthique reste subordonnée à la religiosité, à la foi dogmatique, au lieu d’être élevée elle-même sur le trône de la religion. Au-dessus de la morale plane le dieu chrétien, un être entièrement différent de l’homme, un être auquel appartiennent les meilleures choses et les plus beaux objets, tandis que la créature humaine doit se contenter de tout ce qu’il y a de plus misérable. Et voyez, tous ces sentiments nobles et tendres, toutes ces forces si variées et inépuisables qu’il