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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

se défaire de son corps et à devenir un être surhumain, surterrestre, céleste, abstrait, bref un ange. La morale, c’est le critérium d’après lequel on doit juger un système de dogmes religieux ; la morale, c’est la pierre de touche qui ne s’y trompe jamais ; seule, elle nous fait voir si un dogme est au fond une vérité, ou s’il n’est qu’une rêverie, qu’une chimère. Ainsi, le Dieu surnaturel et contre-nature répond à la morale contre-nature et surnaturelle.

Autrement, le protestantisme. Sa morale, loin de s’égarer dans les nuages de la fantasmagorie et de l’exaltation, est une morale de chair et de sang, une morale naturelle, réelle, simple, prosaïque. Son Dieu est également un Dieu naturel et réel comparé au Dieu abstrait ; un Dieu en chair, le Christ en personne. Ainsi : « Le Démon est contrarié en voyant que notre chair et sang là-haut, gouverne le monde tout entier ; notre chair, c’est le Fils de Dieu, c’est Dieu même (XVI, 573). » — « Hors du Christ point de Dieu : là où le Christ a mis son pied, Dieu l’a mis, Dieu tout et entier (XIX, 403). »

Le point culminant du culte catholique est la messe, c’est-à-dire l’immolation d’un homme ; cet homme, il est vrai, est l’homme-Dieu, et jadis immolé sur la croix, mais on ne cesse de l’immoler toujours et partout de nouveau dans l’hostie. Cela signifie que le Dieu catholique, en théorie comme en pratique, possède non-seulement de l’amour pour l’homme, mais encore quelque autre chose ; en d’autres termes, le Dieu catholique n’est point tout entier pour l’homme, il est aussi pour lui-même, il est aussi égoïste. Delà la nécessité de le concilier constamment par la victime, l’hostie ; tandis que dans le protestantisme Dieu s’offre en sacrifice à l’homme (Luther XX, 259, XVII, 529). Dans le catholicisme l’humanité, c’est la qualité attributive de la divinité (du Christ), Dieu y est homme ; dans le protestantisme au contraire nous rencontrons la divinité comme qualité attributive de l’humanité (du Christ), l’homme y est Dieu. « Les plus éminents parmi les théologiens, dit Luther (IX, 502, 598) se sont élevés de l’humanité du Christ à la divinité, ils s’y sont attachés pour ainsi dire, et ils demandent : Qu’avons-nous besoin de reconnaître humanité du Christ ? Eh bien, ils sont dans l’erreur ; montez tant que vous voulez vers la grandeur de la majesté divine, mais gardez-vous de perdre des yeux l’humanité du Christ. tu ne dois connaître aucun autre Dieu,