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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

En effet, quand tu méprises un objet, est-ce que tu le prendras avec tes mains, avec tes lèvres, avec tes dents ? Le mettras-tu sur ta langue ? Recevrais-tu dans ton corps celui de ton Dieu, si tu croyais ton corps indigne de cet honneur ? Et d’un autre côté, en mettant tes mains et tes lèvres en contact avec ce qui est sacré, ne déclares-tu pas, par cela même, qu’elles sont sacrées à leur tour ?

Concluons : Tu manges ton Dieu, tu bois ton Dieu : cela signifie que Manger et Boire est un acte divin. Si tu ne veux pas le croire, réfléchis sur l’eucharistie.

Mais l’eucharistie contient cette vérité sous une forme mystique, bizarre et confuse elle y tombe dans des contradictions avec elle-même. Ma tâche, au contraire, est de dévoiler sans peur et sans précipitation le Mystère de la Religion, et de le traduire en bon et intelligible langage ; faisons donc de même relativement à l’eucharistie.

La Vie est Dieu, jouir de la vie, c’est jouir de Dieu, la véritable jouissance de la vie, c’est la véritable jouissance de Dieu. Or pour vivre, pour percevoir les sensations vitales, bref pour jouir de l’existence, il faut, entre autres, aussi manger et boire. S’il est donc vrai que la vie est sacrée, il s’ensuit que manger et boire l’est

    de Milan fait renverser la statue de la victoire dans la salle du sénat de Rome ; à cette occasion Ambroise (II, Épist. 17, 18) demande naïvement : Pourquoi attribuer à une déesse les victoires de nos armées, qui ne sont que les effets de leur bravoure ? Ambroise, dis-je, demande cela, qui ne cesse de répéter que tout doit être attribué à Dieu. Plus loin les ruines des temples magnifiques de l’empire tout entier, à l’exception du Panthéon de Rome et de l’Ouranéon de Carthage, qu’on daigna changer en église au lieu de les détruire, attestent le génie anti-esthétique ; les incendies des bibliothèques de Rome, de Byzance et d’Alexandrie sous l’évêque Théophile, prouvent le génie anti-scientifique du vrai christianisme, de sorte que même Orose en rougit (VI, 15). Il usa de la raison historique et du droit de la force pour tuer le paganisme, qui avait accompli sa mission civilisatrice. Mais, au moins, l’époque païenne était belle, la beauté brillait et rayonnait partout. On ne saurait certes dire un jour la même chose de l’époque chrétienne. N’objectons pas ici : « Voilà de vieilles accusations souvent réfutées » D’abord, elles sont irréfutables, en outre, elles ne sont pas vieilles ; car la critique dialectique n’accuse point le christianisme comme phénomène historique, elle lui reconnaît sa place, sa large place, dans le développement du genre humain ; mais elle insiste avec vigueur sur ce que ce qui se fait appeler christianisme moderne redevienne le plus tôt possible christianisme ancien. (Le traducteur )