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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

de l’Homme, composé d’os, de muscles, de tendons, de nerfs, de veines et d’artères, d’organes vitaux tout identiques avec ceux de tout autre mortel. Ainsi, la théanthropophagie chrétienne implique l’anthropophagie. Or, cette contradiction de l’eucharistie avec la nature humaine n’est même que fictive quand on admet avec saint Bernard que la chair et le sang y sont comme palliés, comme couverts d’un manteau ; de sorte qu’en réalité on n’y savoure point du sang bouillant et de la chair crue, mais du vin et du pain. Nous allons voir que cet ineffable et terrible mystère de l’eucharistie se dissout et devient un mystère très prosaïque, très vulgaire, très naturel celui de la consomption des aliments, de la nourriture. « Tous les théologiens chrétiens enseignent, que le corps du Christ est reçu et consommé par nous, non-seulement d’après l’esprit par la foi, chose qui se fait aussi en dehors du Saint-Sacrement, mais par l’ouverture de notre bouche. » — « Ainsi, il y a deux manières de manger la chair du Christ l’une spirituellement… c’est par la foi… l’autre par la bouche, dans le Saint-Sacrement (Livre de la Concorde, artic. VII). » « La bouche de l’homme savoure et mange corporellement le corps du Christ (Luther XIX, 417). » D’où il faut conclure, ce me semble, que l’eucharistie est bien autre chosc que la foi. Qu’est-elle alors ? évidemment Manger et Boire. La foi, cette émotion intérieure de l’âme affective, n’ouvre pas nos lèvres : nos lèvres s’ouvrent pour consommer le vin et le pain, pour les livrer à nos organes digestifs, et pour les assimiler à notre organisme tout entier.

Un pédantisme ignorant, bien qu’il sache beaucoup de choses futiles, d’un côte, et une pruderie soit hypocrite soit maladive de l’autre, crieront ici au cynisme ; mais je ferai observer au lecteur que la dialectique a pour but d’ouvrir le cœur des choses. Elle réhabilite ce qui a été dégradé, et elle dégrade ce qui a été élevé trop haut. La critique dialectique remet tout objet au rang qui lui est dû d’âpres l’Intelligence et d’après la Nature ; elle critique l’Univers et l’Homme, elle est assise au siège du jugement suprême. Elle est l’énergie de la destruction et celle de la production. Elle crée le nouveau monde[1].

  1. Le christianisme a mauvaise grâce de se plaindre du vandalisme exercé contre lui par la réforme luthérienne et la philosophie. En 388 l’archevêque