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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

celui de l’esprit, car il avait voulu gouverner le monde par le christianisme. À ceci Luther s’oppose vivement (XVI, 49) : « Le Christ n’est pas venu pour s’attaquer au gouvernement de César Auguste, il n’a point voulu lui enseigner l’art de gouverner. » Ainsi, le christianisme finit là où le régime mondain se lève ; c’est là où commencent les tribunaux, les armées, les finances. Comme chrétien je me laisse sans résistance voler mon manteau, mais comme citoyen je le redemande devant le juge : Evangelium non abolet jus naturae, dit Melanchthon (De vindicta, Loci. — De même M. Chemnitz : Loci, theol. de vindicta). Tout cela se résume en deux mots : le protestantisme a ruiné le christianisme pratiquement. La négation pratique du christianisme est identique avec l’affirmation (ou la position) pratique de l’homme naturel.

Le protestantisme lui aussi prêche la mortification de la chair, l’abnégation de la nature organique, mais cela a un tout autre sens que dans le catholicisme. Cette abnégation n’a pas de signification religieuse, elle ne contribue point à justifier l’homme, c’est-à-dire à le conduire au paradis céleste ; la pointe métaphysique et poétique est brisée. Le précepte que le protestantisme donne à ses adeptes de crucifier leur chair, ne se distingue guère de celui de la simple morale qui dit à l’homme : « Tu dois dompter tes désirs d’après les régles de ton intelligence et d’après les lois de la nature. » Ceci est très prosaïque, très rationnel, très naturel : bref, très anti-chrétien. Les conséquences pratiques et nécessaires de la foi chrétienne ont été reléguées par le protestantisme à la vie d’outre-tombe, c’est-à-dire il les a niées pour la vie réelle d’ici-bas. Dans le ciel, il est vrai, le protestantisme daigne quitter son point de vue mondain : dans le ciel nous n’épousons plus, dans le ciel nous devenons des créatures tout autres. Dans la vie terrestre; ah ! c’est différent… « Ici-bas, tout doit rester comme auparavant, dit Luther (XV, 62), car le Fils de Dieu n’est point venu pour changer la créature ; elle restera comme elle est, jusqu’au commencement de l’autre vie. Alors, certes, l’extérieur sera changé à son tour, et non seulement l’intérieur. » Cela signifie que nous sommes païens

    logie : aujourd’hui la théologie à son tour a été brisée et le statu quo allemand, le fait le plus servile dans l’histoire de l’Allemagne, sera écrasé et pulvérisé par la philosophie. » (Le traducteur.)