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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

fait, qui est également important pour l’histoire et pour la logique.

Le protestantisme a un sens pratique, il raisonne bien jusqu’à un certain point, et il est assez courageux pour lancer la proscription contre le supranaturalisme de Rome chrétienne ; de même comme la jeune Église catholique avait jadis anathématisé et proscrit le sensualisme de Rome païenne. Aux yeux du protestantisme la religion n’existe que dans la foi ; elle n’existe, dit-il, point dans la morale, dans le droit, dans l’état politique. L’amour embrasse la morale toute entière, mais il n’appartient assurément qu’à la foi de rendre bienheureux le fidèle, car l’amour n’est rien autre chose que la surface extérieure de la foi, par conséquent une chose humaine et périssable, un résultat, un secondaire, et nullement un primitif. « La foi, elle seule, traite avec Dieu la foi nous change en autant de dieux ; » ce qui démontre on ne peut plus clairement la préférence qu’il faut agréer à la foi dogmatique. À l’amour, à la fraternité, à la bonté, bref à la morale, cette vie temporelle ; à la foi religieuse la vie d’outre-tombe.

« La vie temporelle a été donnée par Dieu au monde longtemps avant l’arrivée de Christ, et il a dit : Aimez-vous et aimez votre prochain. Après quoi il a donné au monde son Fils inné, Christ le Seigneur, afin que nous gagnions par lui la vie éternelle, qui vaut bien plus que cette vie temporelle. Moïse, avec la loi, appartient à l’existence terrestre ; mais pour arriver à la vie céleste, il nous faudra avoir le Seigneur (Luther, XVI, 459). » Ainsi, on le voit, l’amour fait partie du chrétien, mais il n’est chrétien que par sa foi chrétienne et dogmatique en Christ. Aimer son prochain est sans doute un vrai service divin, n’importe où et sous quelles conditions que cela se fasse. Mais le Dieu que je sers en m’acquittant d’une fonction mondaine ou naturelle, c’est là le Dieu antechrétien, naturel, païen et judaïque, bref le Dieu universel. Le mariage, l’autorité militaire et civile, l’état social, tout cela exista avec permission de Dieu, déjà bien longtemps avant le christianisme : mais c’était quelque chose de peu de valeur en comparaison avec l’apparition de Dieu en personne. Dieu avait dit qu’il fallait obéir à l’autorité et au père de famille, rester fidèle à l’épouse, s’abstenir du vol, etc. : mais ces commandements sont donnés par Dieu non encore révélé, c’est-à-dire non encore vrai et véritable, Dieu après sa révélation au contraire, Dieu le Christ, n’a