Page:Feuerbach - Qu'est-ce que la religion ?,1850.pdf/476

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
464
QU’EST-CE QUE LA RELIGION

quences nécessaires. Le protestantisme, qui par les catholiques est généralement peu compris (tandis que les protestants comprenne fort bien l’essence du catholicisme) a cela de particulier, qu’il garde scrupuleusement la foi, et qu’il rejette la morale dont la foi est la mère. Il a ramené l’homme croyant ou théorique jusqu’au point de vue du christianisme primitif, mais dans la vie pratique ou dans la morale ; il la reconduit encore plus en arrière, jusqu’au paganisme, au mosaïsme, à l’adamisme, bref jusqu’à la — NATURE.

Voilà assurément un miracle réel du protestantisme, mais en même temps une inconséquence aussi réelle. Car, enfin, comment voulez-vous à bon droit rompre le lien qu’il y a entre théorie et pratique ?

Luther dit : « Vous devez tous, en vrais chrétiens, bâillonner et enchaîner votre raison, vous devez lui arracher les yeux, la fouler aux pieds, la maltraiter comme bon vous semblera, et à la fin l’égorger ; » en d’autres termes, Luther vous conseille de croire ; mais pourquoi ne vous ordonne-t-il pas d’agir de la même manière envers votre sexualité ? La Raison est, dans les choses spirituelles, une énergie aussi productive que la Sexualité l’est dans le monde des sens ; frappez l’une, et pour être conséquent frappez vite l’autre aussi. Renier la foi, c’est réhabiliter la raison ; de même réhabiliter l’instinct sexuel, c’est renier la chasteté. La foi et la chasteté virginale chrétiennes sont identiques dans leur origine. Luther dit : « Si vous voulez rester seuls, sans femme, sans enfants, restez-le, mais abandonnez d’abord le nom d’homme, et prouvez d’abord que vous soyez des anges ou des esprits sans corps. Pourquoi ne vous effrayez-vous pas, ô papistes, de manger et de boire ? Pourquoi vous effrayez-vous tant quand un homme aime une femme (XIX. 368) ? » Il Et il ajoute : « En vérité, c’est pitié de les voir s’en étonner. » Mais avec tout cela, Luther n’a pas faire dériver du Nouveau-Testament la permission d’épouser ; ce livre fait au contraire partout l’éloge du Célibat ou de la Chasteté, et le Christ lui-même ne se marie pas. Luther a ici beau torturer le texte des Évangiles et des Épîtres, il n’y peut lire que ce qui a été écrit : épousez pour éviter par là la fornication, mais vous ferez mieux de ne pas épouser ; or, ce qui est mieux, il faut le préférer au bon, surtout quand il y va du salut éternel de l'âme. Le monachisme était parfaitement d’accord avec le Nouveau-Testament et avec la tradition écrite ; la critique s’empresse de constater ce