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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

mur d’airain entre l’homme et l’homme, elle remplace l’unité et la fraternité naturelles par l’unité surnaturelle, l’unité de la foi ; comme Jérôme dit : « Inter christianum et gentilum non fides tantum debet, sed etiam vita distinguere… Nolite, ait Apostolus, jugum ducere cum infidelibus… Sit ergo inter nos et illos maxima separatio. (Epist. Calantiae matr.). » et Ambroise, pourquoi ne s’y associerait-il pas volontiers (Épist. 70. lib. XI). en s’écriant avec emphase : « Prope nihil gravus quam copulari alienigenae… nam cum ipsum conjugium velamine sacerdotali et benedictione sanctificari oporteat : quomodo potest conjugium dici, ubi non est fidei concordia ? Saepe plerique capti amore feminarum fidem suam prodiderunt. » Ainsi, l’orateur de Milan défend l’amour sexuel entre païens et chrétiens ; il se plaît à déchirer le saint lien naturel précisément dans une époque où le christianisme n’avait pas besoin de se défendre à outrance ; et il ne faut plus s’étonner de Pierre Lombard qui dit : « Il n’est pas permis à un chrétien d’épouser une païenne ou un juive (L. IV, Distinct. 39, c. 1). » Mais cette séparation inhumaine est biblique : les Pères de l’Église citent des passages à l’appui de leur opinion en matière de mariage. Le mot de l’Apôtre sur le mariage entre les païens et les chrétiens ne se rapporte qu’à des liaisons conjugales qui existaient déjà avant l’arrivée de la doctrine chrétienne, et il n’a pas le moindre trait à celles qui sont à former ; voyez sur cette affaire Pierre Lombard (L. IV, Dist. 39, c. 1). — C. Arnold dit (Véritables esquisses des chrét. primit. !V. 2) : « Ils ont exclu et répudié chaque fois leurs parents quand ceux-ci voulurent les détourner de l’Espérance, c’est-à-dire de trouver une récompense dans le paradis… La confrérie surnaturelle du Christ, à leurs yeux, était préférable à la fraternité naturelle. »

Loin de leur en faire un reproche, je cite ici encore d’autres auteurs orthodoxes, pour constater l’ignorance de nos théologiens modernes qui se font une singulière idée de l’amour chrétien, quand ils l’appellent une belle et puissante philanthropie. Rien de plus exclusif, rien de plus concentré, rien de plus âpre que le sentiment qui, par exemple, se manifeste dans Bernard (Epist. III, ex persona Helia monaca ad parentes suos) : «  Qui amat patrem et matrem plus quam me, non est dignus, Matth. X ; in hoc vos non agnosco parentes, sed hostes… Alioquum quid mihi et vobis ? Quid a vobis habeo nisi pecratum et miseriam ? » C’est pieux, c’est gran-