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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

ne devez plus l’aimer. Voilà où conduit la théorie de l’amour tel que la théologie l’enseigne ; vous y rencontrez même toutes les contradictions si bizarres et insolubles qui vous avaient déjà choqué dans le chapitre de la Personnalité divine. La notion de la personnalité divine se sépare en deux : l’une, la personnalité telle quelle, la personnalité abstraite, exclusive ; et l’autre, la qualité attributive (par exemple, justice, bonté, générosité, charité, compassion), qui rend cette personnalité aimable et vénérable.

Il est la réalité subjective du genre, comme la réalité objective du genre est la raison. Amour et raison, comme cœur et raison, sont identiques dans la racine : je l’ai démontré plus haut ; vous n’avez pas, en aimant, besoin d’un médiateur, vous n’en avez pas non plus besoin en pensant.

Le Christ même n’est qu’une image, sous laquelle la simple et chaleureuse conscience populaire allégorisa l’unité du genre humain : « Le Christ, dit-on, aima, c’est-à-dire voulut rendre heureux tous les hommes sans acception de personnes. » On prononce par là le plus grand éloge qu’il soit possible d’un cœur aimant : sans acception de personnes veut dire que son amour s’élança au dessus des barrières internationales, politiques, civiles, au dessus de toutes les différences apportées par la sexualité, par l’âge, par la fortune, par le privilège, par le rang. Mais qu’est-ce à dire, sinon que : « Le Christ, c’est l’amour allégorisé du genre humain pour lui-même ? » Cet amour allégorisé se montre nécessairement comme image ; l’essence de la religion, nous l’avons prouvé, ne saurait faire autrement. Cette image, à son tour, devient personnalité, mais elle reste objet religieux, et partant cette personnalité n’est qu’une image, c’est-à-dire une personnalité non-réelle, mais idéale. Delà vient que l’amour, comme signe caractéristique, est attribué à chacun des disciples.

Or, l’amour n’est rien autre chose que la manifestation de l’unité humanitaire par la voie du sentiment ; le genre humain heureusement n’est point un abstrait ; loin d’exister dans le raisonnement aride et froid, il existe dans le sentiment, dans le caractère, dans le tempérament, dans l’énergie fougueuse et poétique de l’amour. C’est le genre humain qui m’inspire de l’amour ; un cœur plein d’amour, c’est un cœur pour le genre humain : et le Christ est donc la conscience de l’amour comme conscience du genre. C’est sans