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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

gardez-vous de l’aimer à cause de Dieu, soit pour plaire à Dieu, soit pour imiter Dieu. L’homme-genre est assez grand pour être son propre but et motif à la fois. Ah ! qu’elle fut belle et grandiose cette colère, qui poussa toutes les sectes du christianisme primitif à renier les dieux olympiens et de crier aux païens : « Tu n’adoreras plus les idoles que ta main a faites, ni les simples mortels qui naissent et meurent comme toi ! » Et en effet on ne doit point fléchir le genou devant un homme individuel divinisé, ni devant les idoles de marbre, de bronze, de bois, que la main a faites ; mais il ne faut pas non plus adorer les idoles qui sont des fantasmes produits par l’imagination exaltée, des fantômes enfantés par le mysticisme matérialiste de l’âme affective et religieuse.

Élevez-vous au respect pour la nature et pour l’humanité ; voulez-vous absolument appeler cela un culte humanitaire, vous comprendrez au moins qu’il n’a plus rien de commun avec les cultes du passé.

L’amour fraternel pour se réaliser, a besoin d’être immédiat, en ce sens qu’il ne tolère aucune individualité étrangère, une troisième, interposée entre les deux individualités aimantes ; or, comment voûlez-vous que l’amour ne soit pas altéré jusqu’au fond si vous permettez à une troisième individualité de s’intercaler entre l’homme et l’homme ? Et remarquez que cette troisième individualité est l’Individualité par excellence, l’individualité des individualités, celle qui à elle seule représente déjà le genre humain dans toute son étendue par l’espace et par le temps ; c’est l’Homme-Dieu ; c’est le Christ, l’abrégé, l’extrait, le compendium du genre humain. Vous n’aimez point véritablement un homme si vous avez la réticence suivante : « Je ne l’aime qu’à cause de l’Homme-Dieu. » Avec de pareilles réservations mentales l’homme a fini par se corrompre jusqu’à la moelle des os ; il est par-là devenu menteur à lui-même, menteur dans son propre for intérieur ; c’est la terrible hypocrisie subjective, qui, bien plus meurtrière que l’hypocrisie objective, décime des générations et des époques entières. L’hypocrisie subjective se manifeste dans un système, l’hypocrisie objective n’est qu’individuelle.

Vous aimez un homme à cause du Christ, c’est-à-dire parce qu’il ressemble au Christ, parce vous voyez en lui une image vivante du Christ. Donc, en ne voyant pas en lui cette image, vous