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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

l’Église, d’après cet Africain, ont précisées d’une manière vraiment révoltante. L’Évangéliste et l’Apôtre font condamner par la foi et gracier par l’amour : mais ils ne connaissent qu’un amour basé sur la foi ; en d’autres termes, les Évangiles et les Épîtres parlent déjà d’un amour dogmatique, mais qui est un amour sans garantie, car il peut en effet à tout instant éclater en cruautés barbares ou raffinées. Si vous ne reconnaissez pas les articles du dogme, alors vous avez transgressé le domaine de la foi, et vous avez fait invasion dans le domaine de amour. Prenez-y garde, cet amour est un objet de la malédiction divine, de la colère divine, elle ne veut point que l’infidèle vive. L’amour chrétien n’a pas su triompher de l’enfer, parce qu’il n’a pas su triompher de la foi. L’amour est incrédule en matière religieuse, et la foi est forcement dépourvue d’amour. L’amour est athée parce qu’il ne connaît rien de plus sublime que sa propre essence, qui est son Absolu, son lui-même.

L’amour chrétien ne peut point être un amour universel ; l’adjectif chrétien l’en empêche, il le spécialise, il le particularise. Or, l’essence de l’amour est précisément dans son universalité. L’amour dit chrétien, tant qu’il se glorifie de spécialité chrétienne, de sa christianisation pour ainsi dire, ne fera jamais de la fraternité la loi suprême ; il restera donc un amour factice, un amour non-amour (qu’on me passe ce mot), un amour qui se moque du sens de la vérité. Le véritable amour fraternel efface toute différence entre le christianisme et le soi-disant paganisme. L’amour chrétien, qui pendant tant de siècles, a permis et pardonné l’effusion d’un océan de sang humain, est donc avec raison devenu objet de la satire : tandis que l’amour tout court, l’amour sans phrase, n’a pas besoin de se parer de documents asiatiques ni de traditions latines et helléniques. L’amour fraternel sans s’affubler de titre et d’autorité, est par lui-même déjà la loi universelle de l’intelligence et de la nature ; c’est la réalisation de l’unité humanitaire par voie de sentiment. Aussitôt que vous basez cet amour sur le nom d’une personnalité, vous rattachez à cette personnalité des idées superstitieuses, n’importe de quelle sorte, soit ordinairement religieuses, soit spéculatives. Avec la superstition vous avez toujours du particularisme, et avec lui vous avez inévitablement du fanatisme. La fraternité ne saurait se fonder que par l’unité du genre humain, de l’intelligence et de la nature humaines. C'est là l’unique condi-