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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

teurs parlent, n’est qu’une fiction poétique, c’est la foi devenue extatique : aussitôt que l’extase disparaît, la foi oublie l’amour.

Cette contradiction théorique s’est manifestée pratiquement. L’amour dans le christianisme est pollué, pour ainsi dire, par la foi orthodoxe ; il n’y est pas compris. Les panégyristes du christianisme ont beau déclamer en prose et en vers, l’amour chrétien n’est point de l’amour. Or, un amour circonscrit et enlacé de tous côtés par la foi, est un pseudo-amour, un amour qui n’est pas amour, c’est tout au plus le spectre de l’amour. Certes, il faut que l’amour s’impose une mesure, mais elle doit être en harmonie avec l’essence de l’amour ; cette mesure, cette discipline de l’amour se fait par la raison, par l’intelligence. Un amour qui méprise la loi austère de l’intelligence, est théoriquement faux et pratiquement dangereux. L’amour est divin, absolu en et par lui seul ; il n’a pas besoin de se faire oindre ou baptiser par la foi. L’amour n’a pas besoin de s’appuyer sur la foi, il se suffit à lui-même. Si vous voulez fausser l’amour, le rendre insensé et mesquin, hypocrite et infâme, alors imposez-lui le joug de la foi. Du reste, l’amour quand il est ainsi faussé par le mélange avec la foi, a adopté de celle-ci une partie de haine venimeuse. L’amour faussé, c’est-à-dire mélangé de foi, est toujours jaloux de garder l’apparence de l’amour, et de là il imagine les sophismes les plus sataniques, aussitôt qu’il croit la foi en danger. C’est de la sorte que saint Augustin a écrit l’apologie des persécutions contre les hérétiques. L’amour est limité par la foi, il trouve donc aussi que les actes atroces et perfides, les actes contraires à la fraternité, tels que la foi se les permet, ne sont nullement en contradiction ; il interprète les actes de la haine, qui se font à cause de la foi, comme autant d’actes de l’amour ; une opération qui a souvent l’air d’une mechante farce. Ainsi l’amour faussé ne se meut que dans des contradictions, et cela doit être ; bornez l’amour par la foi est déjà une immense contradiction. Une fois admis ce joug déshonorant, l’amour renonce à son propre jugement, à son critérium inné, à la mesure essentielle qu’il porte dans son sein, à son indépendance : la foi le gouverne désormais avec une force irrésistible.

Beaucoup de choses qui ne sont pas littéralement décrites dans les livres bibliques, s’y trouvent toutefois d’après le principe. La Bible renferme les mêmes contradictions que saint Augustin et