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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

parlement, les ambassadeurs se rassemblèrent dans la grande salle, le roi y monta sur une chaire et adressa aux assistants un discours : « Non, dit-il, comme roi et maître à ses sujets et serviteurs, mais comme sujet et serviteur lui-même, aux sujets et serviteurs du commun roi… Il dit qu’il voulait et ordonnait que chacun eût à dénoncer tous ceux qu’il connaîtrait être adhérents et complices des blasphèmes, sans nul égard d’alliance, de lignage ou d’amitié, jusques à dire que, quant à lui, si son bras droit était infect de telle pourriture etc., etc. (Gaillard, VI, 437. Bouchet, Annales d’Aquit., IV, 272). »

Voilà de l’éloquence royale et orthodoxe.

Le roi très chrétien promet à la fin de son sermon de bailler ses propres enfants pour faire sacrifice à Dieu ; un suffète carthaginois n’eût pas parlé autrement en face de Moloch-Saturne. Après quoi le roi orthodoxe et divin rompit cinq fois sa parole aux Vaudois de la Durance et en fit massacrer trois mille a Mérindol, et rôtir vifs quatorze hommes sur le marché de Meaux. C’est sans doute à cause de tout cela que Ferronius (IX, 239) et Dubellay p. 276 disent : « Qu’il mourut avec tant de piété et de constance que, comme le souffle lui échappait, il répéta à plusieurs reprises le nom de Dieu, et lorsqu’il n’eut plus de voix, il fit encore de ses doigte le signe de la croix sur son lit, etc. Veuillez remarquer que ce roi déclare pour principe suprême l’honneur chevaleresque.

La foi, disons-nous, porte dans ses flancs un mauvais germe elle ne reconnaît l’homme que sous la condition, assez mesquine, qu’il reconnaisse le Dieu de la Foi, c’est-à-dire qu’il reconnaisse la Foi pour Dieu. La foi, c’est l’honneur que l’homme rend à Dieu, et cet honneur lui est dû sans qu’il puisse être permis d’en douter : « Haereticus usu omnium jurium destitutus est ut deportatus, » dit J. H. Boehmer (I. c. V, tit. VII, 223, et tit. VI). En d’autres termes, l’infidèle est un sujet hors la loi : la pointe de la personnalité est l’honneur, l’injure contre la personnalité de Dieu est donc le plus grand crime de tous, et comme le roi orthodoxe ne règne que par la grâce de son Dieu, le roi doit punir de l’estrapade et du fer rougei les hérétiques qui injurient par l’hérésie et le roi céleste et le roi terrestre. François et ses parlements avaient donc parfaitement raison.