Page:Feuerbach - Qu'est-ce que la religion ?,1850.pdf/450

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
438
QU’EST-CE QUE LA RELIGION

respectueuse fille ! La mort même du Christ — et que sont toutes les morts en comparaison ? — ne peut me l’arracher de la pensée, comme elle devrait. » C’est là un aveu précieux, que la critique dialectique se hâte de relever.

La théorie de la foi absolue mène inévitablement à dire ce que le grand réformateur dit à Melanchthon : « Sois pécheur, et pèche fortement mais aie encore plus forte confiance et réjouis-toi en Christ qui est le vainqueur du péché, de la mort et du monde ; il faut pécher tant que nous sommes ici. Prie grandement, car tu es un grand pécheur. Je n’accorde rien à la loi (c’est-à-dire à la pratique, aux bonnes œuvres), celui qui peut croire en son cœur, à la rémission des péchés celui-là est sauvé. De même qu’il est impossible de rencontrer dans la nature le point mathématique, de même on ne trouve nulle part la justice telle que la loi la demande. Dieu dit à Moïse : Tu verras mon dos, mais point mon visage ; eh bien, le dos, c’est la Loi, le visage, c’est l’Évangile. » Cette doctrine était assez facile à méprendre, mais n’en faites point de reproche à Luther, le mérite duquel est précisément d’avoir fait ressortir dans toute sa splendeur la pointe cachée de la foi. Un réformateur en Saxe, adversaire de Luther, prêcha alors : « Fais ce que tu veux, crois seulement, tu seras sauvé » : à quoi Luther réplique en colère : « Il faudrait dire, quand tu seras rené et devenu un nouvel homme, fais alors ce qui se présente à toi ; mais les sots ne savent pas ce que c’est que la foi. » Ainsi, nous l’avons déjà dit, les tentations affreuses que Luther éprouve, loin d’être charnelles, sont toutes de cruels dialogues entre lui et le Démon, sur la grâce de Dieu, sur la rémission des péchés, sur le péché originel, sur la foi justifiante etc. Luther conseille, pour vaincre dans ces terribles duels, « de penser à quelque chose de grave, ou de faire de la musique, ou de prendre quelque passe-temps, ou d’aller voir ses amis, ou de boire un bon coup, ou de s’attacher à quelque travail honorable mais le meilleur remède, c’est de railler le Démon et de croire en Jésus-Christ. Quelquefois le Démon m’a jeté dans le désespoir au point que j’ignorais s’il y avait un Dieu, et que je doutais complètement de notre cher Seigneur. La tentation de la chair est petite chose, la moindre femme dans la maison peut guérir cette maladie ; Eustachie aurait guéri saint Jérôme : mais Dieu nous garde dans sa clémence des grandes tentations qui touchent l’éternité ;