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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

ciels ont qualifié d’hypocrisie, en parlant du célibat ecclésiastique et monacal ; c’est un point de vue trop mesquin pour que le dialecticien puisse en faire sa ligne d’opération, et il ne lui est permis que de l’effleurer. Le dialecticien braque constamment les pièces de sa critique plutôt contre le principe de la transcendance même ; tout le reste ne vaut guère la peine de s’en occuper.

La dogmatique et la morale, la foi et l’amour se contredisent dans le christianisme. Dieu, il est vrai, est la notion mystique du genre humain, le genre humain personnifié, ou le père des hommes ; l’amour pour Dieu est par conséquent un amour mystique pour le genre humain. Mais, remarquez-le bien, Dieu n’est pas seulement l’Être universel, il est autant un être personnel, particulier, et qui diffère de l’amour ; or, là où l’essence, l’être, diffère de l’amour, il y aura de l’arbitraire, du caprice, du despotisme. L’amour fraternel agit par nécessité intrinsèque, il unit les mortels non parce qu’il en a reçu le commandement, mais parce qu’il ne peut faire autrement. La personnalité, au contraire, ne fait que ce qu’il lui plaît ; elle est égoïste, elle veut se maintenir contre le monde tout entier, elle est ambitieuse. La personnalité telle quelle est indifférente pour toute détermination substantielle : l’amour de Dieu pour l’homme est donc un attribut, attribut d’un être personnel, cet amour paraît nécessairement sous la forme de la grâce : Dieu daigne aimer l’homme, et s’il ne daignait pas, l’homme n’aurait point à se plaindre. C’est là tout le mystère de l’amour chrétien. Le Dieu chrétien est un Seigneur gracieux, après avoir été un Seigneur sévère dans le mosaïsme. La grâce agit ad libitum, sans le moindre principe, sans y être poussée par sa nature intrinsèque ; elle récompense, mais elle pourrait aussi bien condamner, elle est un amour non-essentiel, capricieux, absolument subjectif, bref : simplement personnel, « Qui saurait résister à sa volonté ? il a pitié de qui il veut (Épit. aux Romains, IX, 18). » Et Luther : « Un roi fait tout ce qu’il veut : Dieu aussi, Dieu a le pouvoir de faire de toutes ses créatures ce qu’il veut : et il ne nous fait jamais un mal. Si sa volonté avait une mesure, une loi, une cause quelconque, elle ne serait plus la volonté de Dieu. Ce qu’il veut, n’est bon que parce qu’il le veut. Ceux qui sont forts dans la foi, croient que Dieu serait bon encore même, quand il condamnerait tous les hommes. Esaü n’est-il pas le frère de Jacob ? dit le Seigneur ; eh bien, j’aime Jacob, je