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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

nom de Jésus, les genoux de tous ceux qui sont dans le ciel et sur terre et sous le soleil, et il faut que toute bouche reconnaisse que Jésus-Christ est le Seigneur (Epit. aux Philipp. II, 10). » « Quand on entend prononcer le grand nom de Jésus-Christ, tous doivent trembler qui sont impies et infidèles dans les cieux et sur terre (Luther XVI, 322), » et saint Bernard a écrit cette parole grandiose et impitoyable : « Le chrétien est glorifié par la mort du païen, puisque le Christ est glorifié (Sermon aux chevaliers du Temple). » La foi doit donc postuler un monde d’outre-tombe, ou le contraire de la foi n’existe que pour augmenter la gloire de la foi ; en d’autres termes, l’enfer est là pour embellir par le contraste les jouissances des fidèles bienheureux. Pierre Lombard dit (IV, Dist. 50. c. 4) « Les élus s’avanceront pour jeter un regard sur les tourments des impies aux enfers : ils n’en seront point affligés ; au contraire, en voyant les ineffables douleurs des impies, ils vont remercier Dieu du bienfait de la félicité céleste ; » — mais ce n’est assurément pas Pierre-Lombard qui est l’auteur de cette atrocité. Ce maître scolastique est trop modeste pour prononcer un mot qui ne fût pas fondé sur l’autorité biblique et traditionnelle. Ce mot est une expression très signifiante de l’amour chrétien, de l’amour croyant et orthodoxe ; et si quelques Pères de l’Église, Grégoire de Nysse, Origène et autres, enseignent que les peines Infernales auront une fin, ils ont emprunté cette modification au platonisme. Les protestants avaient donc raison de dire avec les catholiques : « Les punitions dans l’enfer ne finiront jamais (Confession d’Augsb. Article XVII). » David Strauss cite dans sa Dogmatique chrétienne le fameux mot du théologien Buddéus (II, 547), qui dit : « Les enfants d’un chrétien, quand ils sont morts avant le baptême, acquerront le bonheur céleste, mais il n’en est pas de même des enfants d’un infidèle. »

Eh bien ! qu’en faut-il conclure ? que la foi est opposée à la fraternité, à l’amour, aux sentiments affectueux et généreux qui sont le véritable lien entre les membres de l’Homme collectif, du genre humain. L’amour reconnaît la vertu encore sous la défiguration du péché même ; elle retrouve la vérité sous le masque de l’erreur. Aujourd’hui, les chrétiens voient dans le polythéisme autre chose encore que de l’infamie et de la bestialité, mais cette manière de voir est d’assez fraîche date, et si antithéologique qu’elle n’a pris origine