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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

jugés. » Ce mot de la Bible ne veut nullement laisser à Dieu le jugement, la condamnation et l’exécution. Ce mot se rapporte au droit privé et à la morale du christianisme, mais il n’appartient point au droit politique et dogmatique. Vous faites déjà preuve de votre indifférence en matière de foi, quand vous transportez de pareilles phrases morales dans le domaine du dogme. La distinction qu’on établit aujourd’hui entre l’homme et le mécréant, est un résultat de l’humanisme moderne : l’homme, dit la théologie, ne se distingue de l’animal que par la foi religieuse. Seule, elle possède le secret pour rendre l’homme agréable à Dieu ; le fidèle est donc l’homme normal, l’homme-type, l’homme tel que Dieu le veut. Aussitôt donc que vous admettez une différence entre l’homme et le fidèle, vous séparez et l’essence humaine et la foi, et vous donnez par là à l’homme une valeur intrinsèque, qui est indépendante de la foi. La foi n’est donc sincère et par conséquent relativement respectable que là où la différence entre les fidèles et les infidèles existe encore dans toute sa vigueur. Émoussez le tranchant cette différence dogmatique, et vous ôtez à la foi son caractère significatif. La foi n’est libérale que dans des choses qui par elles-mêmes ne signifient rien ; le libéralisme de saint Paul, par exemple, suppose déjà la croyance à tous les articles dogmatiques. On est, sans doute, libre dans les choses non-essentielles ; sur leur terrain il n’y a plus de lois, on peut croire et faire ce qu’on veut : mais on doit laisser à la foi le droit éternel et imprescriptible dont Dieu l’a investie.

Vous m’objectez que la foi laisse à Dieu le soin de juger et de punir les infidèles ? Détrompez-vous : elle ne lui laisse que le jugement moral en matière de foi : c’est-à-dire, Dieu distingue si vous, chrétiens, avez une foi sincère ou une foi simulée. Ce Dieu-critique, ce juge suprême entre les fidèles et les infidèles, ce Dieu qui récompense et qui frappe, c’est la Foi elle-même. Ce que Dieu condamne, la foi le condamne aussi, et vice versa. La foi est un feu qui dévore impitoyablement ce qui lui est contraire ; saint Paul maudit ainsi le magicien Elymas et le rendit aveugle, parce qu’il résista à la foi (Actes des Ap. XIII, 8-11). Cette flamme infernale de la foi, regardée objectivement, est la Colère divine ou l’Enfer, puisque l’Enfer ne peut avoir une autre origine que la colère de Dieu. Or, cet enfer, la foi le porte dans son propre sein, et les flammes de Satan ne sont qu’un fantastique reflet des étincelles qui jaillissent