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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

a été constitué, il produit nécessairement des questions spéciales, qui à leur tour doivent être décidées dogmatiquement : ce qui conduit à une multiplicité quelquefois très embarrassante de dogmes. Mais ce désagrément, qui est inévitable, ne doit jamais détruire la nécessité de fixer la foi dans des dogmes ou dans des articles fondamentaux, afin que tout le monde sache ce qu’il lui faut croire pour acquérir la félicité céleste.

Je prie le lecteur de remarquer, que nos théologiens modernes, ici comme ailleurs, méconnaissent le vrai christianisme ; ils trouvent ridicules, ils rejettent avec indignation les conséquences rigoureuses de l’essence de la foi. Comment, vous voudriez que la foi ne fût pas préoccupée, soupçonneuse, acariâtre ? Pensez donc qu’il s’agit pour elle de l’honneur de son Dieu et de la félicité éternelle de l’individu. On est chaque fois inquiet de savoir si l’on a vraiment rendu à un supérieur tous les honneurs dus à son rang. Saint Paul, par exemple, est tout rempli d’une seule idée, il ne peut penser qu’au mérite ou à l’honneur du Christ. Les panégyristes nous disent que la foi chrétienne est plus libérale et plus large que celle de Moïse ; elle l’est en effet dans des choses qui lui sont étrangères, par exemple dans des aliments, mais elle est illibérale et étroite au plus haut degré là où il s’agit d’un objet qui l’intéresse. Le pédantisme dogmatique, l’exclusivité la plus sauvage, sont ses deux attributs logiquement nécessaires ; elle est scrupuleuse et impitoyable : es-tu pour le Christ ? pour sa Foi ? si non, tu es anti-chrétien, un ennemi mortel du Christ. Or, on sent le besoin de donner une définition du mot chrétien, et malheur à qui doutera de cette définition une fois donnée, ou qui la changera. Mais comme il y a beaucoup de livres sur la foi et beaucoup d’écrivains religieux, il y a aussi beaucoup de diversité dans les opinions, et il faut partout établir des déterminations dogmatiques bien précisées. Il n’y a pas de doute, le christianisme ne doit sa durée qu’à la dogmatologie des églises.

Le temps moderne, avec son incrédulité qui fait semblant de croire ou, selon le mot spirituel d’un philosophe, qui croit croire, le temps moderne a beaucoup d’indifférence en matière de foi, et se cache derrière le Nouveau-Testament, ou la Bible en général. Cette foi moderne oppose des versets bibliques aux distinctions dogmatiques ; elle veut de la sorte par l’exégèse s’émanciper