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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

vante, se vante du Seigneur (Corinth. I, 31). » Un ancien aide-de-camp du général russe Munnich a dit : « Quand j’étais son aide-de-camp, je me sentais bien plus grand, que maintenant où je commande ; » il en est ainsi d’un véritable fidèle. Le domestique qui porte la livrée du maître, s’estime bien plus supérieur aux hommes libres appartenant à une classe moins élevée que celle de son maître ; de même le croyant. La foi est orgueilleuse, mais elle a l’air d’être humble, parce qu’elle transporte son orgueil dans Dieu, c’est-à-dire dans une autre personnalité ; cette personnalité est le propre moi humain divinisé, et se compose de notions telles que sauveur, médiateur, bienfaiteur, protecteur, etc. ; ce ne sont que des notions dans lesquelles le fidèle se rapporte à lui-même, au bonheur suprême de son propre moi. Ce Dieu est la personnification du désir, très naturel au reste, de l’homme de devenir heureux ; et remarquez que ce désir y est déjà réalisé, car qui y croit (c’est-à-dire en Dieu) y participe déjà (c’est-à-dire il sera heureux). Un vieux proverbe national des Allemands dit : Croire rend bienheureux. En un mot, ici comme ailleurs la religion nous montre sa méthode caractéristique, qui est de transformer en un passivum le naturel activum pour parler avec la grammaire ; la religion change le moi agissant en un moi agité, en un moi sur qui un autre moi, le moi appelé Dieu, agit. Ainsi, le chrétien se sent élevé, païen s’élève par ses propres forces, tant bien que mal le chrétien regarde comme une affaire de réceptivité ou de sentiment, ce qui spontanéité. L’humilité du croyant est un orgueil pris à rebours, un orgueil qui n’a pas l’extérieur d’un orgueil ordinaire. le croyant se sent distingué, mais cette distinction est loin d’être le résultat de son activité ; elle est une grâce qui est descendue sur lui il ne sait pas comment le croyant ne fait pas de son moi le but de sa propre activité, mais le but de l’action divine.

La foi, on le conçoit, doit toujours être une foi circonscrite, déterminée, spéciale : sans cela son Dieu ne serait point le vrai Dieu. Ce vrai Dieu est le Christ, le Fils inné de Dieu le seul vrai prophète : voilà une croyance nettement déterminée, et vous n’avez qu’à croire, si vous voulez être sauvés. Cette croyance se fixe sous forme d’un dogme ; il ne fait que prononcer en parole ce qu’elle avait primitivement en idée. Quand une fois un dogme fondamental