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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

bres fureurs, que la théologie chrétienne exerça contre des hérétiques qui trouvèrent en Dieu trois personnages distincts. Les dieux et les déesses de l’Olympe étaient des personnes réelles, chacune était isolée de l’autre ; c’étaient des individualités divines, différentes d’après leur caractère spécial et égales d’après leur divinité commune. il y avait de la franchise, de la nature, du bon sens, dans les êtres illusoires et chimériques même dont la nation hellénique peupla le monde ; dans la Trinité chrétienne il n’y a que de l’hypocrisie. Les déités païennes étaient des personnes imaginées, sans doute, mais des personnes qui portent le cachet de la réalité individualisée ; les trois déités hypostatiques du Dieu chrétien ne sont que des ombres de personnalité ; elles sont comme tout le reste dans le christianisme, des monstruosités bâtardes, hermaphrodites, illogiques, bizarres, à la fois outrées et vagues, diffuses et confuses, bref, une fantasmagorie qui a la prétention d’être une réalité. Par crainte de tomber dans le polythéisme, la Trinité se détruit elle-même ; elle oublie que quand elle montre ses trois personnes, elle parle en pluriel et non en singulier. Unus Deus, dit- elle, et non Tri Dii ; elle insiste surtout sur unus Deus, qui est aussi unum, tandis que les divinités païennes ne sont qu’un unum. Voyez par exemple saint Augustin et Pierre Lombard (I, Distinc., 19, c. 7, 8, 9) « Hi ergo tres, qui l’unum sunt propter ineffabilem conjunctionem deitatis, qua ineffabiliter copulantur, unus Deus est (Pierre Lombard, c. 6). » et Luther « Jamais la raison ne comprendra que trois font un et qu’un est trois (XIV, 13). » En d’autres termes, l’unité n’a point ici la signification du genre, de l’unum, mais celle de l’unus.

Les trois hypostases ne sont donc que trois fantômes aux yeux de la raison, car la réalité de leur personnalité est supprimée par le monothéisme. Elles ne sont que trois relations : le Fils n’existe pas sans le Père, le Père n’existe pas sans le Fils, et le Saint-Esprit (un hors-d’œuvre, on le sait), n’exprime que la relation du Père et du Fils ; le Saint-Esprit détruit la symétrie. Les trois hypostases se distinguent ainsi entre elles précisément par ce qui constitue leurs rapports mutuels : la paternité distingue Dieu le Père de Dieu le Fils, la filialité distingue Dieu le Fils de Dieu le Père, et la personnalité est par conséquent une notion relative, une simple relation. En même temps on nous dit que cette relativité impersonnelle est une réalité personnelle répartie en trois substances réellement tes