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combien de puissances, et il reste pourtant tout à fait impuissant. Il y a toutefois dans la doctrine de la création telle que la religion ordinaire et empirique la donne, une certaine simplicité naïve, qui évite heureusement les ambages de la doctrine théosophique : d’après la religion l’homme ne naît que pour la gloire de Dieu. Cela signifie que ce Dieu veut être loué, chanté, adoré, comme un mortel quelconque : puisque la souffrance de l’homme répond la félicité de Dieu. La religion sépare toutefois bientôt ces deux côtés, elle donne à Dieu et à l’homme deux individualités qui sont en quelque sorte indépendantes l’une de l’autre ; Hégel les identifie en apparence, mais sans attaquer la contradiction à sa racine. Les orthodoxes avaient vraiment tort de crier si fort contre Hégel ; sa doctrine religieuse n’est point en opposition avec la religion dogmatique, mais elle prononce clairement ce que le langage embrouillé n'a pas su dire.

Tirons nos conséquences. L’être de l’homme est l’être réel de Dieu, et l’homme est réellement Dieu, puisque ce Dieu ne devient Dieu qu’après s’être paré de toutes les facultés et de toutes les qualités de l’homme. La conscience que l’homme a de Dieu est ici censé être la conscience que Dieu a de lui-même : donc la conscience de Dieu est la conscience de l’homme. Or, pourquoi attribuer à un Dieu la conscience humaine ? Pourquoi ne pas la laisser à l’homme ? Pourquoi attribuer à l’homme la conscience divine, et à Dieu l’essence divine ? Pourquoi couper en deux la conscience et l’essence qui sont toujours inséparables ? quel défaut de logique et de psychologie ! Dieu aurait donc sa conscience dans l’âme humaine et l’homme aurait son essence dans Dieu ? Non, mille fois non.

Dites plutôt la conscience que l’homme a de Dieu, c’est la conscience que l’homme a de l’essence humaine ; la conscience de Dieu et l’essence de Dieu sont également dans l’homme. Ce n’est que de la sorte que l’identité naturelle et absolue peut se rétablir : sans elle il n’y a que mensonge et illogique, hypocrisie et fantasmagorie. La psychologie (l’anthropologie) sera nécessairement la théologie de l’avenir.