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on ne connaît la bonté de son cœur qu’au moment où l’occasion se présente de faire du bien à quelqu’un, de se communiquer à autrui, et nous en éprouvons une joie essentielle, la joie de la bienfaisance ou de la libéralité. Cette joie de celui qui donne n’est pas moindre que la joie de celui qui reçoit ; nous jouissons de la joie de celui auquel nous faisons du bien, ces deux joies ne sont donc point différentes l’une de l’autre. Il en est parfaitement de même dans le sentiment de la compassion ou de la commisération ; nous souffrons de la souffrance d’autrui, et en soulageant la sienne, nous cessons peu à peu de souffrir. La joie de celui qui donne est le reflet éprouvée par celui qui reçoit ; il en est de même de la douleur. D’où s’ensuit que la joie et la douleur de l’homme se trouvent récapitulées en Dieu.

Dieu a donc toujours et partout besoin de son contraire pour se dessiner, pour se préciser nettement lui-même : « Dieu ne saurait subsister sans le non-Dieu, » formule qui exprime le secret de la théosophie de Jacob Boehme. Remarquons cependant que Boehme, théologien éminemment mystique, s’empare des sensations dans lesquelles l’Être divin se réalise et devient quelque chose de rien qu’il était ; Boehme fait une séparation entre ces sensations et l’homme, il les objective sous forme de ce qu’on appelle ailleurs les qualités naturelles des choses : et il s’arrange de sorte que ces qualités ne représentent que les impressions qu’elles ont exercées sur l’âme affective de Boehme.

En outre, n’oublions pas que la religion, quand elle est vulgaire ou empirique, est très superficielle, elle ne voit rien au-delà du moment où la création matérielle de l’univers et de l’homme se fit : le mysticisme élevé, au contraire, ramène tout dans le sein d’un Dieu préexistant, antémondain. Le mysticisme nie par-là implicitement la réalité de la création, car si Dieu possède déjà l’univers entier dans le sein de son essence divine, il n’a pas besoin de le mettre au dehors ; si ce Dieu porte déjà dans lui-même le non-Dieu, il peut s’épargner la peine de l’objectiver. En d’autres termes, la création du monde réel doit être un acte entièrement superflu aux yeux du mysticisme théosophique, ou plutôt une impossibilité ; le Dieu théosophique est déjà réel avant la création, tout rempli de réalités avant de faire naître le monde réel. Il faut dire ceci surtout du Dieu de M. de Schelling ce Dieu est un composé de je ne sais