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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

être un obstacle ; la nuit lui déplaît, car dans la nuit l’homme obéit organique, il se construit dont un ciel sans nuit et sans matière, un ciel qui est toute lumière : « Neque enim post resurectionem tempus diebus ac noctibus numerabitur : » et il ajoute qu’il y aura un grand jour sans soir (Joan. Damase. Orth. fid. II, 1).

L’homme, tout éloigné qu’il est de son moi, se retrouve en Dieu toujours revenu à lui-même, en Dieu il gravite toujours autour de lui-même ; pas autrement l’homme, tout éloigné qu’il se croit du monde actuel, ne fait que revenir à la fin vers le monde terrestre.

Au commencement Dieu parait extrêmement extra-humain et surhumain, mais plus tard et à la fin il se montre sous une face humaine ; pas autrement la vie céleste, après avoir eu une apparence bien surnaturelle, renferme une identité complète avec la vie naturelle. Il s’y agit donc d’abord de la séparation de l’âme et du corps, comme chez Dieu il s’agissait de la séparation de l’essence et de l’individu : — l’individu meurt de la mort spirituelle ; le cadavre qui reste est l’individu humain, et l’âme de ce cadavre c’est Dieu. Mais bientôt le besoin s’y fait sentir d’effacer la séparation qu’on avait établie entre âme et corps, entre essence et individu, bref entre Dieu et l’homme. Il y a de la douleur dans la séparation des choses unies par essence : l’identité des deux mondes est donc entièrement rétablie. Le corps humain là-haut, il est vrai, est embelli, idéalisé, mais il reste toujours le même corps comme auparavant : Ipsum (corpus) erit et non erit, dit Augustin (Docderlein, Inst. theol. Christ : Altdorf 1781, paragr. 280) ; ce qui nous ramène à l’idée du miracle, qui réunit par l’imagination deux contraires. Nous disons donc, la croyance en Dieu c’est la croyance à l’essence abstraite de l’homme ; et la croyance au monde surnaturel, c’est la croyance à l’essence abstraite du monde naturel.

Le monde céleste est rempli de la félicité des personnalités humaines, qui s’y sont dérobées à la gêne que la nature terrestre leur avait imposée. La croyance à un monde céleste implique donc cette autre croyance à la subjectivité émancipée des limites naturelles, à la personnalité, bref à l’homme. Or la croyance au ciel chrétien, comme j’ai démontré, est celle en Dieu, donc la croyance en dieu est celle à la vérité et l’immensité de l’être humain : Dieu, c’est