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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

organiques de la vie corporelle. Du reste, la pruderie qu’ils affectaient sur cet objet, n’avait pas été assez grande pour les empêcher d’en entamer la discussion, C’est cette ambiguïté orthodoxe qui provoque tout notre dégoût contre les déclamations théologiques de ce genre-là.

Pour la philosophie moderne, elle critique ici comme suit. La matière vivante est inséparable de la jouissance matérielle, la matière serait morte si elle ne jouissait plus de son existence. La jouissance matérielle sous ce rapport est la joie que la matière vivante a à propos d’elle-même. c’est la matière qui se perçoit elle-même, qui agit et réagit elle-même. Dans chaque joie, dans chaque jouissance il y a nécessairement une manifestation d’énergie vitale, et cela est si vrai que toute, absolument toute activité organique de notre corps en état normal se fait sentir comme plaisir ; par exemple la respiration est un acte qui, pour être une sensation des plus ravissantes, des plus agréables, des plus voluptueuses, n’a besoin que de s’interrompre pendant quelques secondes. Ainsi donc, quand dans son ignorance scandaleuse des phénomènes vitaux, la théologie enseigne que la chair comme chair est pure, mais que la chair comme sensation est impure, par conséquent entachée du péché originel, alors elle méconnaît la chair vivante et ne connaît que la chair morte. Elle voudrait nous faire croire qu’elle respecte la matière, la génération, la nature, l’organisme humain ; il n’en est rien. Elle ment, mais hypocritement et non effrontément, d’après la moitié d’un célèbre verset évangélique qui conseille d’imiter la prudence des serpents. Le bon sens le plus commun sait qu’un homme, auquel nous ne permettons le vin que comme potion médicale, ne peut point jouir de ce vin.

Le christianisme n’a décrété la loi du célibat clérical que dans une époque assez récente, il n’en a pas fait une obligation rigoureuse pour tout le monde parce que cette vertu, qui consiste à être un hermaphrodite pris à rebours, c’est-à-dire un individu sans aucun est censé être la grande vertu par excellence, la vertu de toutes les vertus. Or, une vertu tellement supranaturaliste et transcendante, qu’elle mène directement au paradis, ne doit pas être avilie au point de devenir un simple commandement du catéchisme ou du décalogue. Cette fine fleur du supranaturalisme veut être traitée avec une certaine raffinerie, elle veut être au-dessus de la