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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

exemple : Conjugalis concubitus generandi gratia non habet culpam (P. Lombard, Sententiar. Text., fol. 193) : les actes des saints valent mieux que les livres ; Origène, saint Antoine, saint Jérôme, saint François d’Assise, Pascal, sont les vrais interprètes du sens ésotérique de l’Égise.

Le catholicisme conserva ainsi son fameux principe d’unité ; compression en théorie, compression en pratique. Et ce qui est hors de doute, c’est qu’il fut par là plus heureux que l’Église des apostats ; il sut toujours quoi faire pratiquement dans la lutte contre la chair : les grottes obscures de Jérôme, la neige de François, la ceinture de Pascal, le couteau d’amputation d’Origène en sont des exemples. Mais cet autre organe dans lequel se fait la lutte théorique, la tête, le protestantisme ne put point la traiter avec une pareille facilité, sans causer une mort instantanée ou une maladie mentale ; les tribulations de la chair sont périodiques, mais celles de la raison sont continuelles, et le protestant orthodoxe porte dans son sein l’ennemi qui a tout instant peut lui adresser les terribles questions du doute religieux. Même si cette extrémité est évitée. l’âme n’en devient pas plus heureuse, ni plus saine, car la paisible paresse spirituelle, l’illusion volontaire, ou l’absence de toutes réflexion ne sont point la tranquillité de la raison. Des victimes humaines sanglantes furent immolées aux autels du paganisme, mais qui ose compter le nombre des âmes, des intelligences humaines que le catholicisme, et plus tard le protestantisme sacrifia au Dieu de la foi ? Bref, à tout prendre, le mal caractéristique du protestant, qui dévore tant de victimes psychologiquement, c’est le doute entre foi et raison ; le catholique en souffre aussi, mais moins généralement.

Luther déjà en souffrit immensément : « Ego ipse non semel offensus sum usque ad profundum et abyssum desperationis, ut optarem, nunquam esse me creatum hominem, antequam scirem quam salutatis illa esset desperatio et quam grtaiae propinqua » ; et Bèze dit avec une naïveté effrayante : « Il n’y a aucune partie de la doctrine qui soit plus contraire à la raison humaine que le dogme de la prédestination, » à peu près comme Luther : « Eh quoi ! vous pensez arriver à quelque chose sans tourments intérieurs et avec votre raison ? Non, chers amis, et il n’y a pas de dogme chrétien qui tienne devant elle, » et Jurieu : « Je trouve dans la con-