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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

libre et indépendante, ils nous conduisent sur le sol de la vie ordinaire et réelle, et précisément parce qu’ils se fondent sur la nécessité de l'âme affective, ils frappent avec une irrésistible puissance les hommes dans lesquels celle-ci prédomine. La religion chrétienne est la religion du cœur triomphant, tandis que chez les Orientaux et les Grecs, l’imagination se souciait peu des besoins du cœur, elle s’y abandonnait aux jouissances terrestres. Le christianisme la fait descendre du palais doré des dieux dans les cabanes des pauvres, il l’humilie sous le joug du cœur nécessiteux ; mais plus cette imagination chrétienne perd de force extensive, plus elle y gagne d’intensivité. Ils étaient longtemps bien joyeux, ces 0lympiens toujours heureux et satisfaits ; l’imagination arriva avec le cœur, et le rire inextinguible des immortels cessa.

Cette alliance souveraine entre la liberté de l’imagination et la nécessité de l’âme affective, c’est Dieu le Christ, auquel toutes choses sont soumises. Lui seul est le maître de l’univers, il fait du monde ce qu’il veut. Ce pouvoir illimité, qu’est-il donc sinon celui du cœur compatissant ? Le Christ impose silence à la nature insurgée, mais seulement pour exaucer les soupirs des hommes.


Chapitre XVII.

La différence du Christianisme et du paganisme


Le Christ, c’est la toute-puissante subjectivité, c’est le cœur émancipé de toute loi naturelle, c’est l’âme affective qui, se détournant avec dégoût et avec haine du monde tout entier, se replie sur elle-même, c’est la réalisation de tous les désirs du cœur, c’est l’ascension vers le ciel que fait l’imagination, c’est la résurrection solennelle du cœur. En un mot, la différence du paganisme et du christianisme, c’est le Christ. Dans le christianisme l’homme se concentre en lui-même, pour y devenir un être absolu, surmondain, extramondain.

« Nous n’avons point ici-bas un séjour permanent, nous sommes à la recherche du séjour futur (Épître aux Hébr. XIII, 14). » — « Nous allons en pèlerinage vers le Seigneur, pendant que nous de-