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QU’EST-CE QUE LA RELIGION.

point d’être appelée, par un historien moderne, une singulière opinion scolastique. La femme qui donne naissance à Dieu, est un miracle, et elle a bien le droit, ce me semble, de revendiquer à son tour une origine merveilleuse et immaculée. Certes, si vous mettez la prémisse, cette naissance surnaturelle du Sauveur, vous n’avez plus le droit de vous récrier contre les conséquences aussi naïves que sincères que le catholicisme, le vrai catholicisme bien entendu, en a tirées.

Ce qui est ici historiquement remarquable, c’est l’aplomb avec lequel déjà le Père des Pères avait soutenu la combinaison forcée des polairement contraires[1].


Chapitre XVI.

Le Mystère du Christ chrétien ou du Dieu personnel.


Tous les dogmes fondamentaux du christianisme sont des désirs humains exaltés et mystiquement réalisés dans cette exaltation. L’essence de cette religion réside sans contredit dans la passivité de

  1. Contre le manichéisme de saint Augustin, à l’égard du mariage, s’élèvent entre autres Tite de Bostre et Chalcide, plutôt deux platoniciens christianisés que chrétiens platoniciens ; il paraît que la logique et le bon sens n’appartenaient alors qu’aux penseurs païens. Le noble Beausobre (II, 529) s’écrie avec dédain : « Il vaut mieux laisser tout cela dans les ténèbres, que de se donner la torture pour chercher à concilier des relations si contraires (sur la virginité de la Mère de Dieu) ; » mais il se trompe. La critique, avant de quitter à jamais ces tristes champs de bataille de la pensée fébrile et farouche, doit au contraire les persécuter avec le plus grand soin. Le xviiie siècle, il est vrai, y a fait quelque chose, mais d’une façon trop mécanique pour que le nôtre puisse s’en contenter ; notre critique actuelle, le dialectisme de la nouvelle philosophie allemande, qui sera, espérons-le, la dernière de toutes, procède chimiquement, par la voie sèche et la voie humide. De là son irrésistibilité ; de là, aussi son immense supériorité à la méthode de Bolingbroke, Voltaire, Rousseau, qui, comme M. Henri Heine (le Salon II, 9) a si bien dit, ne s’attaquent qu’au corps du christianisme et non à son âme immortelle. Le combat des héros intellectuels au xviie et xviiie siècles n’a pas suffi. Il faut maintenant dialectiser critiquement cette âme.  (Le traducteur.)