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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

pour prier. En religion le subjectif, le secondaire, la condition est cause première et objective, la chose elle-même : ainsi dans ce cas les qualités subjectives de la prière : sincérité, cordialité, confiance, etc. sont l’expression de l’essence objective de la prière. Par une raison subjective très simple une prière faite en commun peut plus qu’une prière isolée ; la psychologie en donne l’explication. « Multorum preces impossibile est, inquit Ambrosius, ut non impetrent… Negatur singularitati quod conceditur charitati (Sacca hist. de gent. hebr. orta : P. Metzger, p. 668). »

Il s’ensuit qu’il ne faut pas regarder la prière comme simple produit de la dépendance en général : ce serait une manière superficielle de voir. La prière exprime la dépendance, dans laquelle l’homme est de son cœur et de ses sentiments. Quand on n’a pas d’autre sensation que celle d’être en dépendance, on n’ouvre assurément pas sa bouche pour prier, mais on prie quand l’âme s’épanouit en confiance, quand elle est remplie de la conviction inébranlable que l’Être-Absolu s’occupe de nos affaires particulières, quand elle sait que l’être tout-puissant est le père de l’homme. De cette conviction s’ensuit cette autre, que les sensations humaines les plus chères, les plus saintes sont des réalités en Dieu. Un enfant, remarquons-le bien, se sent dépendant de son père, mais non comme père l’enfant trouve plutôt dans celui-ci le sentiment de sa propre force, la conscience de sa propre valeur, la garantie de son existence, la certitude de l’accomplissement de ses désirs ; l’enfant se décharge sur son père de tout soin et souci, et voit dans son père un ange gardien vivant qui ne vit que pour faire le bonheur de l’enfant. Un développement excellent de cette série d’idées se lit dans Théanthropos, recueil d’aphorismes (1838, Zurich) très bon ouvrage qui traite des notions de la toute-puissance, de la prière, de l’amour et du sentiment de dépendance.

L’enfant qui s’adresse à son père, ne le fait point parce qu’il reconnaît en lui un maître, un être indépendant, mais parce qu’il y voit un cœur qui cédera au sien ; la prière de l’enfant, en vérité, n’est rien autre chose que le pouvoir du cœur paternel dont le cœur de l’enfant se sert pour obtenir ce qu’il souhaite. Or, le langage humain ne possède qu’une seule expression pour prier et pour ordonner, c’est l’impératif ; nous pouvons donc dire que la prière est formellement et réellement l’impératif de l’amour, qui est bien plus