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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

est le désir déjà réalisé le désir qui ne veut plus douter, qui ne permet plus aucune contradiction. Cette certitude intérieure sur laquelle l’homme se repose, est un pouvoir imaginaire, mais néanmoins puissant. L’homme est sûr d’une chose, et cette chose est pour lui le divin ; Dieu est l’amour, mot suprême du christianisme est l’expression de la certitude et de la sûreté intérieures de l’âme. Ces trois mots Dieu est l’amour signifient qu’il n’y a pas de bornes ni d’obstacles pour l’âme et ses affections car amour est ici bien identique avec âme et affection. Dieu est ici l’essence de l’âme objectivée, l’âme pure et libre de toute limite. Dieu est le désir du cœur changé d’avance en réalité (l’optatif, pour parler en grammairien, changé en tempus finitum), c’est l’écho de nos cris de douleur, c’est l’âme qui s’entend et s’exauce elle-même. La douleur doit se manifester : l’artiste prend sa lyre presque involontairement, pour faire vibrer les cordes des angoisses de son âme. Ce n’est qu’ainsi, en écoutant sa douleur objectivée, qu’il rend moins lourd le fardeau qui pèse sur sa poitrine ; on dirait qu’en communiquant ainsi sa douleur à l’air atmosphérique, il la rend un être général d’être particulier et personnel qu’elle était. Or, la nature ne comprend jamais les plaintes humaines : l’homme se tourne donc vers l’intérieur, il y parle à lui-même, il est sûr d’être entendu et compris par quelqu’un, par son âme. Ce mystère prononcé à voix basse, à voix haute, — n’importe, son âme l’entend — cette douleur psychique manifestée par la parole, cette délivrance intrinsèque opérée dans et par son cœur, s’appelle Dieu. Il n’était donné, comme de raison qu’au mysticisme chrétien de trouver ici le véritable mot : « Dieu, c’est la larme de l’amour versée dans l’ombre sur la misère, humaine : Dieu, c’est un soupir ineffable qui reste perpétuellement renfermé dans la profondeur de l’âme (Sébastien Frank von Woerd, dans les Apophthegmes de la nation allem. p. Zinkgref). » Cette phrase est en même temps la plus profonde et la plus mémorable du mysticisme.

Ainsi, nous voyons que l’essence la plus profonde de la religion est révélée par son acte le plus simple, par la Prière. Cet acte dit autant, si non beaucoup plus, que l’Incarnation, tant admirée par la théologie spéculative ; je parle de la véritable prière, non de celle qui se fait assez mesquinement avant et après dîner pour ouvrir l’appétit et pour faciliter la digestion, mais de cette autre qui commence dans