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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

n’existe point comme réel ; il n’existe que comme une triste et terrible chaîne attachée à la subjectivité ; comment l’univers pourrait-il s’expliquer par un principe qui nie précisément le droit d’existence de cet univers même ?

Que celui qui ne se trouverait pas encore convaincu de la vérité de cette déduction, veuille se rappeler le point principal dans la création ; c’est évidemment l’existence des êtres personnels, dits esprits, et nullement celle des végétaux et des animaux, de l’eau et de la terre. Dieu est Dieu pour ceux-là, mais point pour ceux-ci ; il est la notion, l’idée personnifiée de la personnalité il est l’apothéose de la personne humaine, le moi sans le toi, la fière subjectivité séparée d’avec l’univers, l’égoïté qui se suffit à elle-même. Or, l’existence absolument égoïste répond mal à la véritable idée de la vie et de l’amour, elle serait à la longue remplie de monotonie et d’ennui, ainsi on ne se contente plus de cette personnalité condensée en un seul être, mais on la fait se déployer en plusieurs personnes. De même, la création signifie sous ce point de vue non-seulement la puissance de Dieu, mais aussi son amour : Quia bonus est Deus, sumus (St. Augustin), ante omnia Deus erat solus, ipse sibi et mundus et loctus et omnia ; solus autem qui nihil extrinsecus præter ipsum (Tertullien). Mais le plus grand bonheur est de rendre heureux autrui, dans cet acte de communication il y a une jouissance vraiment céleste or, comme elle ne se fait pas sans la joie, sans la charité, sans sympathies, on transfère le principe de l’amour communicatif dans le principe de l’existence. Extasis boni non sinit ipsum manere in se ipso (Dionys. A.). En d’autres termes, comme tout ce qui est positif repose sur soi-même, l’amour divin n’est qu’une expression poétique ou rhétorique pour la joie de la vie, cette joie qui puise ses forces et ses jouissances non au-dehors mais dans elle-même. Le plus haut bonheur vital représenté sous une forme personnelle, s’appelle donc Dieu. Et, remarquez-le bien, si cette personnalité personnifiée et divinisée devient l’objet de la spéculation théologique, il n’y a pas à hésiter, Dieu-Personne doit être mis à la tête de l’univers, comme le titre d’un livre sur la première de ses pages ; dans ce cas l’homme est pensé abstraitement comme personnalité, et il s’agit ainsi pour les philosophes de la spéculation, de faire remonter la personnalité humaine directement en dernier lieu à celle de Dieu, Mais si, au contraire, la personnalité humaine