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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

changement de l’eau en vin n’aurait pu être appelé un acte miraculeux du Fils de Dieu, mais tout simplement un acte naturel.

La providence se rapporte spécialement à l’homme, car c’est pour lui qu’elle bouleverse arbitrairement, ou plutôt capricieusement, les lois qu’elle avait jadis établies ; elle se manifeste surtout dans le miracle de l’Incarnation, qui est le centre de la religion chrétienne. Dieu, disent les chrétiens, ne s’est jamais fait plante ni animal, mais homme ; Dieu ne s’occupe donc en opérant les miracles que du genre humain. Un malheureux figuier qui était sans fruits dans une saison où aucun arbre n’en a, fut maudit par le Dieu chrétien et se dessécha pour donner aux mortels un bel exemple de la puissance divine ; les esprits infernaux furent chassés de l’âme possédée et introduits dans des quadrupèdes. « Aucun moineau, est-il dit, ne tombe du toit sans la volonté du Père céleste ; » mais ces oiseaux n’ont pas une importance plus grande que les cheveux qui tous sont comptés sur la tête de l’homme. La providence naturelle donne à manger aux corbeaux, elle a vêtu les lis ; elle laisse se noyer un individu qui n’a pas appris l’art de nager. La providence religieuse lui tend une main et le fait marcher sur l’eau.

L’admiration pour la providence naturelle appartient surtout au naturalisme religieux ; elle est un élément moins essentiel dans le christianisme que dans le mosaïsme, qui est une religion très amie des animaux. L’animal, sans parler de l’instinct, n’a pas d’autre ange gardien, d’autre providence que ses sens, ses organes. Un oiseau devenu aveugle, doit mourir. Le prophète Élie reçoit des aliments d’un corbeau, mais je ne me rappelle pas d’avoir lu dans la bible d’un animal qui serait sauvé d’une façon autre que naturelle. Croire donc que l’homme aussi n’a pas d’autre providence que ses forces physiques et psychiques, est aux jeux de la religion une hérésie ; la providence naturelle ne vaut rien, la providence religieuse est tout.

Jonas dans le ventre d’un poisson, Daniel parmi les lions, font voir combien la providence distingue entre l’homme religieux et l’animal ; et si tant de naturalistes très chrétiens en Angleterre se plaisent a admirer la providence dans les organes de la locomotion ou l’appareil mandibulaire, ils oublient qu’ils dégradent, qu’ils nient par cela la providence religieuse. La Bible et la nature sont deux pôles éternellement ennemis, jamais vous n’y découvrirez le moindre