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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

religieuse impressionne profondément un pieux catholique chez lequel la foi coïncide avec le goût esthétique ; il s’incline avec ferveur même devant des images sacrées qui ne brillent que par leur laideur, puisqu’elles lui sont de simples signes, des symboles dont le but unique est de lui rappeler le souvenir d’un saint, d’un ange, de Dieu. Plus une image religieuse est en opposition avec les lois de l’esthétique, plus elle répond à ce catholicisme dogmatique, qui ne cesse de tourner les regards de l’homme vers le ciel.

L’image d’un saint, si elle a de la valeur comme œuvre d’art, loin d’être une paire de lunettes à travers lesquelles notre pieux regard pénètre à l’objet sacré est plus un diamant qui brille par la lumière et les couleurs qui lui sont propres et qui attire l’adoration, l’absorbe même, au lieu de la conduire modestement vers le saint. Voyez ce beau tableau de la Madone ; il ne vous impressionne saintement que parce que l’art a été la religion de l’artiste ; l’art était devenu son soleil religieux, la Madone de son âme, et pour l’exprimer cet artiste choisit la Madone telle qu’elle se trouve dans la foi populaire. Cette auréole qui entoure la Madone peinte, n’émane point de l’objet sacré, mais de l’art, de l’enthousiasme des peintres ; voilà pourquoi ce tableau sera admiré aussi par des non-catholiques.

Je me dispenserai de donner des preuves ; je n’en veux citer que quelques-unes des plus marquantes. Pascal, dit sa sœur, se donna beaucoup de peine pour ne point jouir du goût des mets succulents que les médecins lui venaient de prescrire dans sa maladie, à peu près comme don Ignace de Loyola qui, à l’aide d’innombrables mortifications, avait en effet réussi à émousser les nerfs gustatifs de sa langue (Vita sancti Ignac. Loyola, par P. Ribadaneira). Pacal dit que la maladie est l’état naturel du chrétien, c’est-à-dire de l’homme, ce qui revient au célèbre mot de Salvien : « La maladie du corps, c’est la santé de l’âme. » Eh bien, là où cette théorie règne qui condamne la jouissances comme anti-chrétiennes, il n’y plus de place pour les beaux-arts. Elle serait si dangereuse la jolie figure d’une belle madone ! des statues de marbre n’ont-elles pas quelquefois déjà inspiré de l’amour à un jeune homme, à une jeune fille ? Ainsi le pieux pontife Adrien VI avait-il raison de tourner le dos au Lacoon païen : Ornamenta insignis picturæ et statuarum priscæ artis nequaquam magni fecit ; il n’ai-