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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

logique, logique et imaginatif, une interprétation entièrement fausse, en disant : l’homme est incapable de penser cet objet autrement que par allégorie. le vrai est que cette deuxième hypostase, le Fils divin, est essentiellement une image, une allégorie, on ne peut donc point ne pas le penser allégoriquement. Ici, comme ailleurs, la théologie, avec sa méthode antilogique, est arrivée à l’absurde elle ne peut jamais donner une explication suffisante, surtout quand elle appelle le Fils une entité métaphysique, au lieu de reconnaître que le Fils est diamétralement opposé à l’idée métaphysique de Dieu le Père. Le Fils, c’est l’essence de l’imagination humaine personnifiée et déifiée ; or, il n’y a rien de commun, que je sache, entre imagination et métaphysique.

Le concile de Nicée, en admettant l’adoration des images religieuses, allégua aussi un passage de Grégoire de Nyssa, qui assure de n’avoir jamais pu regarder sans verser des larmes, un tableau représentant le sacrifice d’Isaac. Mais ce qu’on oublie presque toujours, c’est qu’un tableau, une statue d’église, exercent leur influence sur l’âme religieuse par l’art, et non par l’objet qui y est représenté. L’art, qui s’incarne pour ainsi dire dans l’image, se sert d’un objet religieux comme d’une auréole, au milieu de laquelle il sait déployer toute la magie de l’esthétique. L’art ou, ce qui revient ici au même, l’imagination, pour dominer sans obstacle l’âme humaine, prend les objets religieux pour prétexte, et non pour modèle, et quand on veut nous faire prouver le contraire par la conscience religieuse, qui, nécessairement, ne rattache la sainteté de l’image qu’à la sainteté de l’objet, alors il nous faut répondre à cette objection plus que banale par notre formule ordinaire : la conscience religieuse, l’âme religieuse n’est point faite pour mesurer la vérité. L’Église se donne beaucoup de peine pour établir des distinctions entre l’image et l’objet de l’image, elle assure que l’adoration ne s’adresse qu’à l’objet, et en même temps elle prononce implicitement la sainteté de l’image en décrétant ce qui suit : « Sacram imaginem domini nostri et omnium salvatoris aequo honore cum libro sanctorum evangeliorum adorari decernimus… dignum est enim ut… propter honorem qui ad principia refertur, etiam derivative imagines honorentur et adorentur » (Gen. Const. Conc. VIII, 10, can. 3) ce qui n’est qu’une des inconséquences innombrables dont fourmille nécessairement, forcément tout système religieux.