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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

l'amour personnel : O Domine Jesu, si adeo sunt dulces istæ : lachrymæ, quæ ex memoria et desiderio tui excitantur, quam dulce erit gaudium, quod ex manifesta tui visione capietur ? Si adeo duice est flere pro te, quam dulce erit gaudere de te ? Sed quis hujusmodi secreta colloquia proferimus in pnbiicum ? Cur ineffabiles et innarrabiles affectus communibus verbla conamur exprimere ? Inexperti talia non intelligunt ! Zelotypus est sponsus iste… Delicatus est sponsus iste… (Scala Claustralium sive de modo orandi : écrits apocryphes de saint Bernard.) Le même (De Modo bene viv. Sermo, X). dit « Pleurez à cause de l’amour de Jésus-Christ, qui est votre fiancé. » Et Buddéus (Comp. Inst.theol. dogm., III, 3, 10) : « Quod oculis corporis Christum visuri simus, dubio caret. » La différence entre Dieu le Fils, Dieu physique, et Dieu sans Fils ou Dieu non-physique, Dieu immatériel, se réduit a la différence qui existe entre l’homme mystique et l’homme rationaliste. L’homme raisonnant et raisonnable vit, pense, agit, il complète par l’action les lacunes de sa pensée, et celles de la vie par la pensée ; il fait cela d’une manière théorique, quand il s’assure par son raisonnement de la réalité des choses, et d’une manière pratique en combinant l’activité vitale avec l’activité spirituelle. Ce que j’ai dans ma vie, je n’ai pas besoin de le mettre en Dieu, dans l'Être métaphysique de l’esprit ; l’amour, l’amitié, l'institution de la nature, le monde enfin me donnent ce que la pensée me refuse. La pensée ne peut ni ne doit donner tout. Mais c’est précisément a cause de cela, que je mets de côté, en pensant, les besoins de mon cœur matérialiste, je ne veux pas obscurcir ma raison par les désirs et les passions ; je sépare mes activités, je fais une division des travaux de mon être, j’organise son travail : voilà la sagesse de la pensée de la vie. Ainsi, je me passe facilement d’un Dieu, qui par son essence mystérieuse et imaginaire, pour ainsi dire par une métaphysique physique (quelle combinaison monstrueuse !) voudrait remplacer la physique réelle. Mon cœur est satisfait quand j’exerce mon activité intellectuelle et je tourne tranquillement le dos à mon cœur qui ne fait que des soubresauts fantasques et capricieux : c’est là la froide abstraction vis à vis du cœur chaleureux. Je me garderai donc de méditer pour plaire mon cœur, je ne médite que dans l’intérêt de ma raison, je ne demande a Dieu que la pure et sublime jouissance scientifique.